Les chaînes subalpines septentrionales, bien que réputées simples, ont cependant eu une évolution structurale très pluriphasée. La synthèse des données recueillies sur l'ensemble des massifs subalpins septentrionaux, conduit en effet à y distinguer au moins trois étapes de déformation compressive, qui s'ajoutent à un nombre au moins égal d'épisodes d'extension.
A/ En ce qui concerne les étapes extensives,
on en relève presque à tous les niveaux de l'échelle
stratigraphique. D'une façon générale les
failles générées lors de ces étapes
sont à peu près méridiennes et surtout parallèles
aux axes des futurs plis. En fait elles semblent, un peu partout,
avoir servi de structures d'ancrage qui ont déterminé,
plus tard, l'implantation des plis (les synclinaux s'installant
à l'emplacement des grabens préexistants).
Les étapes synsédimentaires jurassiques ne peuvent
guère être analysées dans les chaînes
subalpines septentrionales, soit que les terrains du Lias et du
Dogger n'y affleurent pas, soit qu'ils y soient trop déformés
par les phases compressives mais il est bien sûr probable
qu'elles s'y sont manifestées.
Pour les époques postérieures au Jurassique les
activités extensives qui ont été relevées
peuvent être réparties de la façon suivante
:
1 - La première étape d'activité extensive connue dans les massifs subalpins septentrionaux est celle du milieu du Crétacé (Barrémo-Albien), observée notamment dans les Aravis, en Chartreuse et en Vercors. Peut-être ne doit-elle pas être attribuée à une extension crustale mais à de simples tassements, par "failles de progression", à la marge extérieure du prisme de carbonates qui progradait depuis la plate-forme urgonienne (c'est ce que suggère notamment le fait que, à la Dent de Crolles, la faille de la Gorgette s'amortit au sein des marnes du Valanginien-Berriasien).
2 - Cette explication ne peut cependant plus être retenue pour les failles extensives d'âge Sénonien, qui ont notamment été observées dans les Bornes (chaînon de la Tournette). Le cachetage des cassures se produit soit au cours même du Sénonien soit au Nummulitique. De ce fait il est difficile de savoir si cette étape est vraiment distincte de celle qui se manifeste au cours du Paléogène (Priabonien à Oligocène). Cette dernière crée d'assez nombreuses failles normales conjuguées, d'azimut à peu près N-S, qui sont cachetées selon les régions par les couches marines ou continentales. Elle est bien illustrée dans presque tous les massifs mais particulièrement dans les Bauges et les Bornes, massifs où les couches nummulitiques affleurent de façon particulièrement large.
3 - Une dernière étape, très tardive car
postérieure à la phase majeure de plissement (P2)
mais antérieure à la phase P3, est celle de la formation
de la faille d'Arcalod, dont la surface de cassure est
tordue par les déformations de la dernière phase
compressive (ce jeu extensif concerne alors sans doute aussi l'accident
médian de Belledonne qui est le prolongement probable de
cette cassure dans le socle).
On est tenté d'envisager que cette étape coïncide
avec la première phase d'érosion (par
aplanissement) qui a été mise en évidence
dans les massifs subalpins plus méridionaux [Gidon, 1994],
d'autant que cette dernière est antérieure aux ultimes
chevauchements subalpins.
B/ Le décompte des épisodes compressifs
se base sur la superposition des effets des déformations
observables (reploiement de failles ou sectionnement de plis).
Il en résulte que les étapes élémentaires
que l'on distingue ainsi peuvent éventuellement s'être
enchaînées et ne pas relever de véritables
"phases" distinctes, notamment si elles ne sont pas
séparées par des modifications du système
de contraintes (ce pourrait être le cas pour les étapes1
et 2 ; c'est le cas pour les sous-étapes de la phase 3
dont la contemporanéité n'est pas étable).
Compte tenu de cette réserve, les étapes compressives
objectivement discernables peuvent être inventoriées
comme suit :
1 - Phase du premier cisaillement tangentiel
de la couverture ("phase P1", [Gidon 1981b]).
Ce cisaillement s'est notamment traduit par la formation de chevauchements
par failles inverses dans la barre tithonique des massifs les
plus méridionaux. Il est aussi responsable de la formation
de chevauchements, par torsion des failles extensives antérieurement
formées, dans les Bornes et le massif de Sixt-Platé
(coupe de l'Arve). Au front occidental des Bornes, le chevauchement
de La Fillière paraît également à rattacher
à cette étape tangentielle. Dans les niveaux structuraux
les plus profonds (Lias - Dogger, voire même Tithonique,
des massifs des Aravis et du Haut Giffre) on lui attribue la formation
de plis synschisteux à plan axial très couché.
Cette phase semble remonter à l'Oligocène supérieur
puisque le chevauchement de La Filière est cacheté
par le Miocène du sillon périalpin. Ceci est en
accord avec l'âge de la mise en place des nappes internes
qui, par un effet d'entraînement de la couverture prise
entre ces nappes et le socle, en est la cause la plus probable.
En fait, que ce soit dans les massifs subalpins septentrionaux
ou dans les anciens hémigrabens des massifs cristallins
externes, il apparaît que cette phase a mis en jeu deux
phénomènes distincts :
a) le plissement synschisteux de contenu sédimentaire des
anciens hémigrabens, à la suite de la femeture de
ceux-ci par le rapprochement et l'écrasement des blocs
("hémi-horsts") de socle cristallin ;
b) le rabattement en plis couchés et le cisaillement (éventuellement
par des surfaces de chevauchement) de la portion de ces plis qui
faisait saillie au dessus de la courbe enveloppe du sommet des
blocs de socle cristallin.
Il faut ajouter que, au moins dans les chaînons occidentaux du Vercors et de la Chartreuse, on relève des indices indubitables d'une étape de plissement anté-Miocène. En effet le Sénonien n'y est conservé que dans les coeurs de synclinaux et les voûtes anticlinales sont érodées plus ou moins profondément, mais souvent jusqu'à ablation totale de la carapace urgonienne. Mais ce premier plissement semble en fait lié à la formation des plis du Jura dont les extrémités méridionales s'intègrent là aux chaînons subalpins les plus externes : il n'a donc peut-être pas concerné les chaînons subalpins plus internes. D'autre part l'érosion anté-miocène de ces plis semble avoir commencé dès l'épisode karstique éocène, ce qui porterait à les faire remonter à un épisode antérieur à la phase P1 des massifs subalpins (qui serait spécifiquement jurassien).
2 - Phase du plissement généralisé ("phase P2", [Gidon 1981b]). Les plis créés alors sont ceux qui constituent maintenant le trait structural majeur des massifs subalpins septentrionaux et qui en ont guidé la morphogénèse (le plus souvent par le biais de l'inversion de relief). Toutefois ils ne représentent sans doute encore que l'ébauche de ceux que nous observons maintenant (en particulier ils devaient être plus ouverts et n'avaient sans doute pas tout à fait leur orientation actuelle). De nombreux décrochements semblent dater de cette phase P2, car leurs azimuts et le sens de leurs rejets sont compatibles avec la direction de raccourcissement indiquée par l'orientation de l'axe des plis. Ils s'observent plutôt dans la partie occidentale des chaînons subalpins et ils apparaissent maintenant comme des tronçons disjoints, connectés entre eux par des décrochements plus récents qui les reprennent et/ou les recoupent.
Rien ne permet de séparer cette phase de plissement de celle qui, en Suisse, a créé les nappes helvétiques en déformant les surfaces de charriage des nappes internes des klippes préalpines, dont la mise en place est d'âge oligocène tardif. Cette phase 2 est probablement fini-miocène (voire post-miocène), car le plissement a affecté les molasses miocènes des chaînons subalpins les plus externes (Chartreuse et Vercors). Par ailleurs la formation des plis P2 s'est peut-être enchaînée en continu avec l'étape précédente, dans une même phase de raccourcissement de la couverture. C'est ce que suggère le fait que les voûtes anticlinales sur lesquelles le Miocène repose en discordance dans les chaînons les plus occidentaux aient rejoué après le Miocène (d'ailleurs au prix de torsions axiales qui ont été facilitées par des fractures en décrochement et en chevauchement).
Le jeu extensif de la faille de l'Arcalod est un épisode
qui s'oppose aux autres par la relaxation des contraintes compressives
qu'il exprime correspond clairement à une étape
intermédiaire entre deux phases distinctes de déformation
compressive. Or cette cassure recoupe clairement les plis P2 tandis
qu'elle est tordue par le synclinal de Serraval qui date
de la phase P3.
La création de la virgation des Bornes se situe
aussi dans le créneau chronologique séparant les
compressions 2 et 3, si l'on admet que c'est elle qui est également
responsable de l'incurvation anté P3 de la faille de l'Arcalod,
mais ce point reste discutable. L'analyse des chaînes subalpines
ne livre pas d'autres indications sur son origine : on peut seulement
remarquer qu'elle est vraisemblablement liée à la
formation de la virgation du Jura et sans doute à l'incurvation
du front pennique, car l'un comme l'autre lui sont concentriques.
On peut envisager que ce soit le résultat des coulissements
dextres le long des grands accidents longitudinaux à la
branche orientale de l'arc alpin (qui viennent aboutir en Valais
par la ligne du Simplon). Ce sont là, en tous cas, des
indices d'un changement des directions de mouvement des masses
rocheuses à l'échelle de la chaîne alpine.
3 - Phase ultime
La dernière étape de déformation("phase
P3" [Gidon 1981b]) est probablement post-miocène
et ses derniers mouvements ne datent donc peut-être que
d'un Quaternaire pas tellement reculé. En effet on est
conduit à lui rapporter plusieurs déformations,
dont la contemporanéité n'est nullement établie
et qui se sont peut-être succédées dans l'ordre
adopté ci-après pour les énumérer
:
- a) plissement à grande longueur d'onde.
Il représente la traduction, dans la couverture, d'une
déformation du socle qui s'exprime par la voussure anticlinale
des massifs cristallins externes. Ce plissement se manifeste par
un certain nombre de plis très ouverts, qui tordent transaxialement
les plis P2 du Vercors au Bornes. Le plus marquant est le synclinal
de Serraval des Bornes et des Bauges orientales [Gidon, 1994],
dont l'axe, N45, est parallèle à celui de la chaîne
de Belledonne. Il est bordé du côté nord-ouest
par le large anticlinorium des Bornes occidentales.
Il est vraisemblable que l'essentiel de la surrection de la chaîne
de Belledonne et du Mont-Blanc est due à cette déformation,
que l'on doit nécessairement considérer comme post-miocène,
compte tenu de ses relations avec les plis P2. Toutefois la présence,
dans les couches sommitales des molasses miocènes, de galets
provenant du socle des massifs cristallins externes montre que
la mise à nu de ce socle avait débuté au
cours du Miocène (cf J.BOCQUET 1966). Mais si l'origine
pelvousienne (ou plus interne) de nombre de ces galets est indubitable,
rien ne prouve, par contre qu'il y en ait qui proviennent du socle
de Belledonne. Il semble donc que l'érosion syn-miocène
n'a affecté que le massif du Pelvoux et les zones plus
internes, tandis que le massif de Belledonne était alors
encore enfoui sous sa couverture. Il est a noter que cette supposition
s'accorde bien avec deux autres considérations : d'une
part le massif du Pelvoux avait déjà été
fortement soulevé et son socle cristallin mis à
nu dès le Nummulitique, de sorte que l'érosion n'avait
à y déblayer qu'une moindre épaisseur de
couverture ; d'autre part la situation plus externe du massif
de Belledonne l'amenait logiquement à subir une surrection
plus tardive.
- b) ultimes jeux des décrochements, selon la direction
NE-SW.
Ces jeux concernent notamment les fractures de cette orientation
dans les Bornes, qui y recoupent nettement les décrochements
attribuables à la phase P2 et ne sont pas affectées
par l'arcature qu'y dessinent ces plis. En outre ces fractuires
recoupent et semblent bien décaler l'axe du synclinal de
Serraval. Dans les massifs plus méridionaux les changements
de l'orientation des failles de décrochement semble également
s'expliquer par l'une interférence entre des branches relativement
E-W qui avaient été créés dès
la phase P2 et des branches obliques (NE-SW), sans doute plus
récentes, qui les connectent et ont ainsi permis leur réactivation
dans un système de contraites de direction différente.
- c) remise en mouvement et/ou formation des chevauchements
les plus externes des massifs subalpins septentrionaux (chevauchement
du front des Bauges et de la Chartreuse orientale, chevauchement
de Voreppe et de Rencurel).
En effet ces accidents ont provoqué la dénivellation
entre les tronçons résiduels de la vieille surface
d'aplanissement post-miocène. La postériorité
de ces chevauchements par rapport aux plis P2 semble également
indiquée par le fait qu'ils coupent ces plis à tour
de rôle, du fait que le tracé de leur surface de
chevauchement est moins méridien que l'axe des plis (ceci
est particulièrement net pour le chevauchement de la Chartreuse
orientale qui sectionne à tour de rôle tous les plis
de la Chartreuse orientale, du sud vers le nord, entre la trouée
de l'Isère et celle de Chambéry ; cela n'est pas
moins net pour le chevauchement de Voreppe, qui tranche à
son tour tous les plis du Vercors au sud de la trouée de
l'Isère).
On sait par ailleurs [Gidon 1981b] qu'il y a corrélation
entre le jeu de ces chevauchements et l'ultime jeu des décrochements
NE-SW. C'est en outre à l'occasion de ces derniers mouvements
que les plis P2 ont acquis leur forme actuelle, certainement plus
fermée que celle qu'ils avaient lors de leur apparition.
C'est vraisemblablement aussi à ce moment qu'a dû
intervenir la déformation rétroverse de divers plis
de la marge orientale des massifs subalpins les plus méridionaux
(Chartreuse et Vercors). Le cas le plus net et celui de l'anticlinal
de Perquelin, dont le basculement vers l'est s'est accompagné
d'une rupture en chevauchement. Mais cela concerne aussi la région
de Gresse et les chaînons du Connest et du Sénépy.
Ces mouvements rétroverses semblent interprétables
par des déplacements du socle de Belledonne en "sous-charriage"
par rapport à sa couverture, apparemment dans le cadre
de coulissement NE-SW dextres qui se poursuivent de nos jours
par l'activité sismique de cassures longitudinales à
la chaîne.
Le fait que l'étape d'érosion par aplanissement, préalable à l'érosion quaternaire "normale", ne peut guère être antérieure au Pliocène supérieur (Villafranchien) confére à ces ultimes déformations un âge bien tardif, qui ne remonte peut-être, en définitive, qu'à un Quaternaire pas tellement reculé.