La visite des affleurements qui sont situés au pied
des abrupts de l'Armet, en amont du hameau de la Chalp (versant
sud du col d'Ornon), est devenue une sorte d'étape obligée
dans le parcours des excursions géologiques visitant les
Alpes, de sorte qu'il y passe chaque année une multitude
de géologues (dont le niveau des connaissances et le sens
critique sont d'ailleurs fort variables).
Pour la plupart d'entre eux, notamment pour les jeunes étudiants,
ce site apparaît sans doute comme l'un de ces lieux connus
de toute éternité en raison de leur exemplarité
évidente. Ils n'imaginent vraisemblablement pas que ce
n'est qu'à une date finalement assez proche que le caractère
de paléofaille fossile et d'abrupt de bloc basculé
lui a été reconnu.
L'existence d'une grande "faille du col d'Ornon", bordant du côté est le massif Armet - Taillefer avait bien été mise en évidence par les levés effectués par Jean Claude BARFÉTY pour la rédaction de la feuille "Vizille" de la carte géologique à 1/50.000°, grâce aux datations paléontologiques de René MOUTERDE. Mais, lorsque cette découverte fut publiée en 1970, nous pensions encore que la naissance de cette cassure avait été liée à l'orogénèse alpine. En effet personne n'avait alors dans l'esprit le rôle que l'on attribue de nos jours à la paléotectonique jurassique.
C'est en 1978 que le travail de levers systématiques
pour la rédaction de la feuille "La Mure" de
la carte géologique à 1/50.000° conduisit J.C.
BARFÉTY à examiner de près les alentours
de la Chalp de Chantelouve : l'aspect "chahuté"
des affleurements avait été remarqué et signalé
dès 1963 par le regretté Jean VERNET, mais cet observateur
méticuleux avait cherché à y voir le résultat
d'une tectonique d'"expulsion vers le haut", qui s'inscrivait
dans son optique de l'époque.
Les observations de J.C. BARFÉTY eurent vite fait de le
convaincre que l'interprétation de J.VERNET était
irrecevable et qu'il fallait voir là le résultat
de phénomènes essentiellement sédimentaires.
De plus les trouvailles et déterminations paléontologiques
de René MOUTERDE lui permettaient de dater, du Toarcien,
la matrice sédimentaire dans laquelle s'interstratifient
les divers blocs de ce qu'il n'osait pas encore appeler un olistostrome.
Dans le cadre de la collaboration amicale dont nous avions
pris l'agréable habitude depuis plus de 10 ans, il m'invita
alors à l'accompagner pour approfondir l'examen de ce secteur,
à la recherche d'une explication plus précise de
ses particularités. Je dois dire que ma première
visite aux affleurements septentrionaux de la Chalp me fit grosse
impression parce que les analogies avec les formations olistolitiques
que j'avais eu l'occasion de visiter (notamment les scisti
farciti de l'Apennin) me parurent évidentes. Toutefois
de telles formations n'étaient alors connues que dans un
contexte de charriages. Ici, au contraire, elles apparaissaient
liées au jeu d'un accident extensif, ce qui était
un concept nouveau (notons toutefois que la confirmation de cette
liaison ne fut obtenue qu'à la suite de nos recherches
ultérieures, notamment dans le secteur plus septentrional
du Sué, où s'observe le onlap de prismes détritiques
fossilisant le miroir de faille).
Mais ce jour de mai 1979, encore sous l'exaltation de la compréhension
brutale de la signification de nos observations, et frappé
par la relative proximité de la route que nous dominions,
je me souviens avoir dit à BARFÉTY à peu
près ceci : "cher ami, vous verrez que, dans quelques
années les excursions défileront devant ces affleurements
et que les pas des visiteurs y auront tracé des sentiers
!". Je ne croyais pas, toutefois, si bien dire, car cela
paraissait alors quasi paradoxal, pour nous qui étions
seulement perchés dans l'une de ces pentes de pierrailles
ingrates et vierge de traces humaines, où le géologue
alpin traine si souvent ses godasses ...
Nos recherches complémentaires nous montrèrent
que des faits confirmant notre interprétation tectono-sédimentaire
s'observaient en fait presque tout le long de la limite orientale
du massif du Taillefer - Armet. Nous avons alors convié
Marcel LEMOINE, qui avait fait de ce thème l'axe des recherche
du laboratoire CNRS de Grenoble (dont il était le directeur),
à en visiter les lieux les plus démonstratifs. Notre
convergence de points de vue sur l'interprétation de ces
divers affleurements nous conduisit alors à mettre au point,
avec lui, la note à l'Académie qui a fait connaître
notre découverte. Ce fut le point de départ de la
reconnaissance de la présence des dispositifs de blocs
basculés dans les Alpes occidentales françaises,
notion qui fut exprimée plus formellement dans une seconde
note, en 1981.
C'est tardivement, en 1984, qu'est parue notre description précise
des affleurements, car les comptes-rendus de l'Académie
n'offraient pas assez de place pour cela et nous avons dû
avoir recours à une revue dont les délais éditoriaux
étaient beaucoup plus longs. Cette parution a d'ailleurs
précédé de peu l'excursion de la Réunion
extraordinaire de la Société Géologique de
France, que nous y avons guidé, en septembre 1984. C'est
à cette occasion que plusieurs participants, impressionnés
par l'ampleur du rejet de la faille du Col d'Ornon ont envisagé
qu'il ait été accru par des rejeux "alpins",
post-jurassiques : ceci a suscité, par la suite, un travail
de thèse de 3° cycle, effectué par Thierry GRAND,
sur ce sujet.
Depuis, la boule de neige de la notoriété s'est enflée progressivement et les visites de ce site exemplaire se sont multipliées. Quel visiteur peut maintenant imaginer le désintérêt total que cet endroit suscitait voici à peine plus de 20 ans et qui a conscience que c'est un "obscur" travail de lever régulier de la carte géologique qui a été à l'origine de la mise en évidence de son grand intérêt ?.
L'auteur de ce site internet, quant à lui, est heureux
qu'une des "trouvailles" géologiques à
laquelle il a participé ait acquis le caractère
d'une donnée classique. Toutefois il se fait souvent la
réflexion qu'il a mis en évidence pas mal d'autres
faits, qui n'ont pas acquis de notoriété, alors
qu'ils le méritaient peut-être autant et que leur
découverte fut en tous cas bien plus méritoire par
sa difficulté. Il déplore surtout que le nom du
vrai découvreur, Jean Claude BARFÉTY, soit pratiquement
gommé dans tous les écrits actuels se référant
à ces observations fondamentales pour la compréhension
de la formation des Alpes (je ne parle évidemment pas des
commentaires oraux, qui n'ont que faire des références
bibliographiques), ce qui est injuste. Mais sans doute l'essentiel
est-il que le fait soit connu et le travail du découvreur
n'a-t-il d'intérêt que dans ce but, pour la communauté
scientifique.
Il n'échappera pas au lecteur que ces réflexions
moroses ne sont ,bien sûr, que le reflet du vieillissement
de leur auteur !
Quelques clichés souvenirs datant de l'époque de la découverte (mai 1979) :
Références des trois notes signalant, interprétant puis décrivant la faille du Col d'Ornon :
BARFÉTY J.C., GIDON M. & MOUTERDE R.(1970). - Observations stratigraphiques et structurales sur le Mésozoïque des environs de Bourg-d'Oisans (Isère). Géologie alpine, t.46, p. 23-28
BARFÉTY J.C., GIDON M., LEMOINE M. & MOUTERDE R.(1979). - Tectonique synsédimentaire liasique dans les massifs cristallins de la zone externe des Alpes occidentales françaises: la faille du Col d'Ornon. C.R.Acad.Sc. Paris, t.289 (17 déc. 1979), série D, p. 1207-1210.
BARFÉTY J.C. & GIDON M. (1984). - Un exemple de sédimentation sur un abrupt de faille fossile: Le Lias du versant est du massif du Taillefer (Zone dauphinoise, Alpes occidentales). Revue de géologie dynamique et de Géographie physique, Vol.25, fasc.4, p. 267-276.
Référence de la note "fondatrice" de la notion de blocs basculés dans les Alpes françaises :
LEMOINE M., GIDON M. & BARFÉTY J.C. (1981). - Les massifs cristallins externes des Alpes Occidentales: d'anciens bloc basculés au Lias, lors du rifting téthysien. C.R.Acad.Sc. Paris, t.292 (23 mars 1981), série II, p. 917-920.
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