La Nappe de Morcles est une entité tectonique qui appartient à l'ensemble des "nappes helvétiques", défini en Suisse au nord-est de la cluse du Rhône en aval de Martigny. Des trois nappes superposées, Wildhorn, Diablerets, Morcles, elle représente la plus basse.
Ces nappes appartiennent à la catégorie
des nappes - plis-couchés, dont elles sont un exemple de
référence mondiale. Elles sont en effet dotées
d'un flanc inverse, plus ou moins fortement étiré,
et séparées de la nappe sous jacente par un synclinal
plus ou moins pincé.
Dans le cas de la nappe de Morcles, elle repose sur la couverture
autochtone du massif cristallin des Aiguilles Rouges dont elle
est séparée par un synclinal couché à
coeur de Nummulitique, qui se développe, en rive gauche
du Rhône dans les pentes méridionales du Val d'Illiez,
sous les Dents du Midi
(qui se rattachent à la nappe). Ce pli couché est
un anticlinorium, affecté de plis parasites
multiples, selon le schéma "en feuille de chène"
(dans lequel il y a symétrie de déversement des
plis secondaires de part et d'autre du plan axial du pli principal).
Une question qui est débattue depuis
plusieurs décennies est celle du prolongement et de la
terminaison de ces nappes en France. En effet, en territoire suisse,
dans le revers sud-est du chaînon des Dents du Midi, la
distinction entre la nappe et son autochtone est soulignée
par une très grande différence de leurs successions
stratigraphiques :
- dans la nappe la succession est complète du Trias au
Crétacé, avec un assez fort développement
d'alternances marno-calcaires dans le Jurassique inférieur
et moyen.
- dans l'autochtone, par contre, la série débute
par un trias gréseux, puis dolomitique, bien adhérent
au socle cristallin ; mais au dessus elle subit une forte réduction
par lacune du Jurassique inférieur et moyen et même
(à Pormenaz) de tous les terrains sédimentaires
antérieurs au Crétacé supérieur.
En France, par contre, au SW de la vallée de l'Arve le Trias adhérent au socle est recouvert en succession normale par une série stratigraphique comportant un Lias déjà épais (daté de l'Hettangien, à sa base en plusieurs points, notamment au Mont Joly). Si l'on peut en certains points envisager un déplacement de cette succession par décollement au niveau des gypses triasiques rien ne permet, nulle part, d'imaginer que le charriage de la série s'y poursuive.
Il y a donc un problème de terminaison du charriage de la nappe de Morcles vers le sud.
Diverses solutions ont été proposées,
aucune complètement satisfaisante, la plus mauvaise consistant
à vouloir prolonger les nappes jusqu'au delà de
la limite méridionale de Bornes en leur attribuant pour
surfaces de chevauchement des accidents mineurs dont le caractère
chevauchant est même, parfois, plus que discutable.
Deux points me paraissent essentiellement à prendre en
considération dans la recherche d'une solution plausible
:
1 - Le fait que la charnière synclinale
séparant la nappe de Morces de son autochtone, au niveau
du Val d'Illiez, est le prolongement nord-oriental du synclinal
de Solaison, donc d'un pli déjà très externe
parmi ceux du massif des Bornes. Cela exclut toutes les interprétations
tendant à faire passer la limite de la nappe plus à
l'est (et surtout celles qui lui font emprunter la dépression
de Thônes).
On serait donc tenté de connecter le charriage avec le
chevauchement de la Fillière, qui a été mis
en évidence depuis. Mais cet accident n'a d'abord aucun
caractère de flanc inverse étiré et passe
sous l'anticlinal encore plus externe du Parmelan. De plus, et
surtout, il est d'âge nummulitique, alors que la nappe de
Morcles est post-nummulitique.
D'autre part, comme l'avaient déjà montré
J.DEBELMAS et J.P.USELLE dès 1966, on passe du pli couché
composite de la coupe du Rhône aux plis seulement déversés
du massif des Bornes, par une sorte d'atténuation du déversement
(au moins au niveau de l'Urgonien). Ceci est confirmé par
l'étude des accidents chevauchants du flanc nord-ouest
de l'anticlinal du Bargy, qui ne peuvent en aucune manière
prétendre au statut de chevauchement majeur susceptible
de prolonger celui de la nappe de Morcles (voir les pages Cluses et
Jallouvre).
Il faut ajouter à cela le fait les plis des Bornes se prolongent
vers l'est en se dirigeant, par dessus et en travers dela ligne
faîtière des Aiguilles Rouges, vers
l'intérieur du "synclinal" de Chamonix, en
territoire suisse : ils se prolongent donc dans des portions plus
internes des nappes helvétiques. C'est-à-dire que,
outre la nappe de Morcles, les autres nappes helvétiques
subissent aussi, sans doute, un amortissement progressif
du charriage, du nord-est vers le sud-ouest, pour se transformer
en un train de plis seulement déversés que l'on
observe dans les massifs subalpins septentrionaux et dans la couverture
des massifs cristallins externes.
2 - Le fait que l'aire d'extension de la série
réduite adhérente autochtone ne s'étend
pas au sud des Aiguilles Rouges, dans les massifs cristallins
externes français. Cela veut dire qu'elle n'est pas liée
au découpage en blocs basculés, allongés
dans le sens N-S, qui caractérise ces massifs cristallins,
mais qu'elle leur est oblique, voire transversale.
Dans ces conditions la couverture sédimentaire, qui, au
sud des Aiguilles Rouges, pouvait librement se déplacer
par simple cisaillement vers le nord-ouest par rapport au socle
cristallin, a du se trouver bloquée par l'adhérence
au socle de la succession réduite, au nord de l'extrémité
méridionale de ce massif. On est donc porté à
envisager que ce blocage du cisaillement de la pile stratigraphique
ait été à l'origine de son déversement
en plis couchés, cette modification de son mode de déformation
lui permettant de franchir, en quelque sorte, cet obstacle par
le haut.
Ce blocage du glissement cisaillant de la couverture et sa libération
vers le sud peut également fournir une explication au changement
de direction des axes des plis, qui pivotent dans le sens horaire
en marge sud du secteur de blocage par rapport à leur direction
générale. Ce serait l'origine de la virgation
des Bornes, qui reste sinon énigmatique.