À propos du prétendu charriage des massifs cristallins externes des Alpes occidentales françaises


(texte inédit, par M.GIDON, mars 2001, retouché décembre 2001)

L'auteur s'exprime dans cette page, au sujet d'une question qui lui échauffe quelque peu l'esprit car il y voit une des manifestations typiques de la dérive actuelle des modes de travail scientifiques, dérive qui consiste à privilégier le schéma théorique par rapport à l'observation (le fait que ces schémas soient désormais qualifiés de "modèles" exprime-t-elle l'idée que la nature doit les suivre de gré ou de force ?!...). Ce texte est une pré-version, adaptée à sa lecture via internet, d'un article à paraître dans le numéro de 2001 de la revue "Géologie Alpine".

Je veux tenter, ici, de dire que le charriage des massifs cristallins externes et le jeu en inversion de leurs failles extensives jurassiques sont en fait de simples hypothèses, qui ont trop vite été adoptées, sans prendre en compte suffisamment la réalité du terrain. Pourtant on dispose de nombreuses observations qui ont été accumulées et consignées par des générations de géologues. Pour n'être, en général, pas parues dans des revues internationales de haut rang, leurs publications constituent un fond irremplacable, qui ne devrait pas être rejeté d'un revers de main par les nouvelles générations de chercheurs. Cela implique un peu de recherches, mais une bonne part de cette documentation est disponible par le simple biais de la lecture attentive des cartes géologiques ou répertoriée dans leurs notices.

Il est plus que probable que les remarques exprimées dans cette note n'auront que peu d'écho. C'est sans importance. Par contre il était assez choquant que leur contenu (qu'il soit pertinent ou non) n'ait pas fait l'objet de discussions, faute d'avoir été formulé.
Telle est la justification de ce papier, que son auteur aura longtemps hésité à rédiger. Qu'il paraisse dans le dernier numéro de la revue "Géologie Alpine" revêt en outre une certaine signification symbolique.

 The external crystalline massifs of the French Western Alps : a stack of thrust sheets, or not ?

Summary :
It is now largely accepted that the alpine external crystalline massifs represent the topwall of à large thrust. This assumption is here critically examined under its different features : historical, immediate proofs of thrusting, indirect proofs based on the structure of the subalpine ranges and of the structure of the crystalline massifs themselves.
It is shown that this is only an hypothesis, which is not necessary and does not fit to explain the field observations.
A model, based on a comparison between several transects through the external realm of the french alpine chain, is proposed. It allows very little importance to the "inversion" of the ancient jurassic faults. On the contrary it considers that the alpine deformation consisted mostly a) in a tranverse horizontal crash of the crystalline basement and of the half-grabens which separate them ; b) in a tangential westward shear, which develops upward in the cover overlying the crystalline basement and saves the latter. They occured independantly, the first rather before the second, but may also represent two stages in a continuous deformation. Anyway it was probably due to a more or less correlative arrival, in the external realm, of the effects of both crushing of the crustal slab and thrusting of the internal nappes, the latter beeing responsible of folding and thrusting in the cover.
A certain number of implications which result from this model are finaly examined, particularly about the relations between the tectonics of the basement and of its cover.

Résumé :
L'hypothèse d'un charriage profond des massifs cristallins externes est examinée sous ses divers aspects : historique, indices directs d'un chevauchement des massifs cristallins externes, indices indirects, tirés de la structure des chaînes subalpines septentrionales et de la structure du socle cristallin à son interface avec ses enveloppes sédimentaires.
La conclusion est que cette hypothèse n'est ni nécessaire ni adaptée à l'explication des faits de terrain tels qu'on les observe.
Un schéma de déformation alpine du socle cristallin est proposé, sur la base de la comparaison des coupes naturelles sur les différentes transversales. Il minimise le rôle de l'inversion des anciennes failles extensives et donne le rôle principal à l'association, d'une part, d'un écrasement transversal des blocs de socle, allongés N-S, et des hémigrabens qui les séparent, et, d'autre part, d'un cisaillement tangentiel de la couverture vers l'extérieur de la chaîne, par rapport au socle sous-jacent, non entrainé dans ce mouvement. L'écrasement est antérieur au cisaillement mais ce dernier peut s'inscrire dans un continuum de déformation dû à une arrivée plus ou moins corrélative de la compression dans le socle et de l'avancée, sur la couverture, des nappe d'origine interne, responsables de l'entraînement de cette couverture.
Un certain nombre d'implications de ce schéma sont enfin examinées, notamment en ce qui concerne les rapports entre la tectonique du socle et celle de sa couverture.


1. Introduction, historique

On ne peut plus lire une publication qui s'intéresse à la structure des zones externes de Alpes occidentales françaises sans y voir évoquer, comme une donnée de base reconnue et fondamentale, la notion d'un charriage du socle cristallin des massifs cristallins externes (et plus précisément des massifs de Belledonne et du Mont-Blanc) sur leur avant-pays subalpin. En effet, à force d'avoir été répétée, cette assertion semble avoir acquis le statut d'une certitude, au cours des années, dans l'esprit de la plupart des chercheurs, d'autant qu'il semble même qu'aucune voix ne se soit élevée pour rappeler que cette "vérité" n'est qu'une hypothèse. Le propos de cette note est précisément de le dire, et de montrer que si cette hypothèse présente a priori des aspects séduisants, elle soulève cependant, à l'examen, de très grandes difficultés.

L'hypothèse d'un charriage du socle cristallin du chaînon de Belledonne a été formulée dans les années 80, au moment où se répandaient, en provenance du nouveau monde, de nouveaux concepts - constituant dans l'ensemble un apport très positif - relatifs aux charriages. Sous cette influence s'est alors plus ou moins imposée, entre autres, l'idée que toutes les déformations de la couverture, plis et chevauchements, étaient l'écho de charriages plus profonds et, en dernier ressort, du découpage du socle par de grandes failles plates émergeant à l'interface socle - couverture, à la faveur de rampes de plus en plus externes.
Mais le point de départ même de l'hypothèse du charriage en bloc du cristallin de Belledonne vers l'extérieur de la chaîne alpine a été un essai d'interprétation des données gravimétriques [Ménard, 1979]. Pour rendre compte du grand contraste entre l'altitude atteinte par le socle dans ces massifs et la profondeur supposée du socle à l'aplomb de Grenoble il faisait appel, sur cette base, à la présence supposée, sous le bord occidental de la chaîne, d'un coin de matériel sédimentaire s'engageant vers l'est sous le socle. On peut d'ailleurs noter que l'idée que les massifs cristallins externes s'étaient soulevés par le jeu d'un système de lames chevauchantes imbriquées était déjà implicitement admise dans bien des schémas antérieurs. L'idée était séduisante à divers égards et notamment par le côté iconoclaste qu'il y avait a envisager le charriage d'un ensemble si classiquement tenu pour l'illustration même de l'autochtonie.

Les profils sismiques ECORS, réalisés peu après, n'ont pourtant révélé aucun indice d'une indentation de l'interface socle - couverture. Ils ont au contraire montré qu'à la latitude d'Albertville cette interface s'enfonçait vers l'ouest selon une courbe douce et très régulière.


figure agrandissable

Fig. 1 - Profils ECORS (données sismiques d'après Mugnier et al.,1990 ; les tirets d'interprétation ont été rajoutés).

La couverture se distingue nettement du socle cristallin par l'existence d'une multitude de réflecteurs, en moyenne parallèles à l'interface socle / couverture. Dans le socle, C désigne un reflecteur profond, dans lequel il a été proposé de voir la surface de chevauchement de Belledonne ; D est un autre réflecteur dans lequel on a proposé de voir le prolongement de C ; E est un réflecteur qui s'identifie aisément à la limite socle / couverture, au revers oriental de Belledonne.
On est frappé par l'absence totale d'indice du "coin" de matériel sédimentaire qu'aurait dû dessiner l'interface socle / couverture à l'ouest de la chaîne de Belledonne pour satisfaire à l'hypothèse proposée pour expliquer les résultats gravimétriques.
Noter par contre la bonne adéquation entre la disposition des réflecteurs dans la couverture et le schéma interprétatif (ci-après) tiré des faits de terrain.

Mais, comme la théorie était là et qu'elle s'accordait avec les schémas devenus à la mode, les interprétateurs de ces profils ont naturellement cherché, dans le socle sismique, des indices de réflecteurs susceptibles de représenter la surface de charriage de Belledonne, alors qu'il y en avait bien peu. En fait l'interprétation du reflecteur profond, dans lequel ils ont voulu voir un chevauchement de Belledonne, est essentiellement destinée à répondre à la "nécessité" théorique de la présence d'un chevauchement profond.
Il est curieux que l'on ait alors négligé d'observer que le dessin de l'interface socle - couverture ne portait pas trace de la profonde indentation que prévoyait l'hypothèse de départ et que celle-ci apparaissait donc gratuite dès son premier essai de vérification. Malgré cela l'adoption de cette hypothèse n'en a guère souffert, car elle s'accordait trop bien avec les schémas devenus à la mode. Cela s'est exprimé par la floraison des schémas interprétant les plis et chevauchements des massifs subalpins septentrionaux comme des conséquences d'un charriage profond des massifs cristallins externes. On a même vu apparaître, dans nombre de publications, d'articles de vulgarisation et de manuels, outre la notion d'un prétendu charriage de Belledonne, celle du chevauchement du massif du Mont-Blanc sur le "synclinal" de Chamonix (ce qui consiste à ignorer délibérément les faits de terrain qui s'opposent à cette conception).

Pourtant on avait alors déjà mis en évidence ce trait majeur de la structure des massifs cristallins externes qu'est leur découpage en blocs basculés datant du Jurassique. Cela avait pour conséquence très génante que la plupart des fractures censées correspondre à des chevauchements, à l'intérieur et entre les massifs de socle, étaient fondamentalement d'anciennes failles extensives.
Cette donnée, incontournable, a été intégrée au schéma qui était en train de s'imposer en ayant recours à la providentielle théorie de l"inversion". Elle consiste à admettre que les failles extensives séparant ces blocs ont rejoué en failles inverses, chacune représentant l'une des branches émergentes du supposé charriage profond de l'ensemble des massifs cristallins externes. L'hypothèse d'une telle inversion est également une réponse très séduisante au problème de l'individualisation en nappes des différentes zones paléogéographiques individualisées par l'extension jurassique dans les domaines internes. Tout cela a conduit à l'adopter sans plus d'examen et au mépris des contrôles de terrain, comme on le verra plus loin, à propos de la déformation alpine de ces massifs.

2. Discussion

La présentation qui précédède montre déjà que le charriage des massifs cristallins externes et le jeu en inversion de leurs failles extensives jurassiques sont considérées ici comme des hypothèses qui ont été trop vite adoptées, sans prise en compte suffisante de la réalité du terrain. On va voir que la géologie de surface ne confirme pas la pertinence de cette interprétation et porte à la rejeter. Cette récusation portera sur trois aspects, savoir : la réalité même des charriages de socle, la capacité qu'ils ont d'expliquer la tectonique de la couverture et enfin le rôle qu'ils semblent jouer vis-à-vis de la tectonique de l'interface socle - couverture.

 

2.1. Qu'est-ce qui étaye, au niveau du socle, l'idée d'un chevauchement de Belledonne ?

2.1.1. En voit-on des indices, à la limite entre les massifs cristallins et leur couverture ?

Il faut tout d'abord dire brièvement mais fortement qu'il n'y a pas le moindre indice de surface qui porte à supposer l'existence d'un grand chevauchement longeant la marge ouest de l'alignement des massifs cristallins externes, quelle que soit la profondeur d'observation permise par l'érosion à l'interface socle - couverture, et quelle que soit la latitude à laquelle on observe cette interface. Il s'agit donc d'un accident totalement masqué en profondeur (ce qui est évidemment d'une grande commodité pour le jeu de l'imagination). On verra même, plus loin (§ 2.2.1..2), qu'il est illusoire de croire (ce à quoi on s'est beaucoup essayé) que l'un des accidents de la couverture subalpine (ou jurassienne) puisse en représenter l'émergence à la surface du sol.
En outre, le versant occidental du socle de la chaîne de Belledonne au sens large (c'est-à-dire de Grenoble aux massif des Aiguilles Rouges inclus) ne montre aucun indice d'accidents qui puissent représenter des cassures satellites d'un tel chevauchement. Le seul accident connu qui vienne perturber l'enfoncement régulier de la surface du socle vers l'extérieur de la chaîne est celui qui est à l'origine du pointement de granite de La Motte, à l'ouest de Megève. L'interprétation la plus plausible de cet affleurement, remonté par rapport au sédimentaire qui affleure à son contrebas oriental, est le jeu d'une faille extensive à compartiment oriental abaissé, car l'alternative d'une écaille chevauchant localement vers l'est (en rétrocharriage) est trop gratuite. Ni l'une ni l'autre de ces interprétations ne s'inscrivent en tous cas dans un cadre de chevauchements vers l'extérieur de la chaîne.

D'autre part il faut renoncer à prétendre que le soulèvement actuel de la chaîne de Belledonne pourrait trahir la poursuite de la surrection de ce massif, si l'on admet que celle-ci ait résulté d'un chevauchement profond. En effet l'analyse de la séismicité des abords des massifs cristallins externes révèle un alignement de foyers, ce qui ne saurait correspondre à un plan incliné profond mais permet au contraire de définir un accident subvertical (la "faille de Belledonne" des sismologues). Par ailleurs les mécanismes aux foyers de ces séismes sont coulissants (et non compressifs). En fait la cassure actuellement sismique se rapproche beaucoup plus, par son orientation et son sens de rejet, des accidents coulissants, telle la "faille de Vizille", qui ont été mis en évidence par les études de terrain (Barféty et Gidon, 1997).

2.1.2. Les grandes failles du socle sont-elles ses chevauchements satellites ?

L'idée que les grands accidents longitudinaux, qui parcourent du sud au nord l'intérieur des massifs cristallins externes, aient fonctionné en chevauchements satellites, branchés sur le chevauchement profond supposé ne repose sur aucun fondement. D'abord ces cassures ont un pendage trop fort pour des failles inverses. Ensuite toutes se sont avérées être des accident extensifs jurassiques (sans doute plus ou moins hérités de l'hercynien) dont le rejeu ultérieur est conjectural et, au mieux, d'ampleur minime.
C'est notamment très clair pour l'accident qui limite le socle cristallin de Belledonne du côté oriental (au col d'Ornon), pour l'accident médian de Belledonne (à La Mure) et pour l'accident médian des Grandes Rousses (à la Croix de Cassini), tous points où leur cachetage jurassique reste bien visible et ne semble guère avoir été altéré par des déformations plus récentes. Certes l'on observe, sur certaines surfaces de ces cassures, des indices microtectoniques d'un mouvement relatif, vers le haut, de la couverture qui s'appuie sur elles (c'est notamment le cas au col d'Ornon). Cela prouve que ces surfaces ont naturellement, du fait de la très forte discontinuité lithologique qu'elles constituent, été le siège de déplacement différentiels, lors des compressions alpines. Cela ne traduit pas forcément un rejeu au niveau plus profond des blocs cristallins et se place plus probablement dans le cadre des déformations à la faveur desquelles le contenu des hémigrabens a été plus ou moins expulsé vers le haut (voir plus loin).
En ce qui concerne plus précisément le massif du Mont-Blanc, il a été affirmé à plusieurs reprises qu'il chevaucherait, à sa bordure ouest, le contenu sédimentaire du "synclinal" de Chamonix (qui a en réalité tous les caractères d'un hémigraben jurassique). En fait les observations de terrain (travaux de J.L. Epard et de J.C. Barféty) montrent sans ambiguité que le socle du Mont-Blanc ne s'avance pas sur sa bordure sédimentaire. Les terrains du flanc oriental du synclinal de Chamonix y reposent au contraire sur le cristallin, par un contact tout-à-fait stratigraphique, même si ce contact est redressé à la verticale. De plus, les plis secondaires qui affectent ces terrains sédimentaires ont des plans axiaux subverticaux et montrent même une tendance au déversement vers l'est, ce qui est à l'opposé de la structuration par entraînement qu'aurait dû créer un chevauchement. Enfin le contenu sédimentaire du "synclinal" de Chamonix, au sud comme au nord de cette localité, montre un plissement serré à plans axiaux redressés. Il ne présente d'accident cassant supprimant des termes de sa succession que sur son bord occidental et il s'agit là, selon toutes apparences, de la paléofaille extensive jurassique qui limitait l'hémigraben.

À cette géométrie s'ajoute le fait que, à l'heure actuelle, le rejet final des cassures limitant les blocs de socle reste toujours très fortement extensif, ce qui porte à beaucoup minimiser leur rejeu supposé en faille inverse. Certes on ne peut totalement exclure qu'un tel rejeu soit intervenu, mais celui-ci ne saurait, en tout état de cause, avoir eu l'ampleur voulue pour expliquer le raccourcissement transversal et la surrection des massifs cristallins externes. Il est de fait, en particulier, que l'on observe, sur certaines surfaces de ces cassures, des indices microtectoniques d'un mouvement relatif vers le haut de la couverture qui s'appuie sur elles (c'est notamment le cas au col d'Ornon). Cela prouve seulement que ces surfaces de très forte discontinuité lithologique ont été réutilisées, lors des compressions alpines, dans le cadre des déformations à la faveur desquelles le contenu des hémigrabens a alors été en partie expulsé vers le haut (voir plus loin).

En bref l'inversion des paléofailles extensives est un processus théorique dont le terrain ne montre pas la pertinence. En réalité le rejeu alpin de ces grandes cassures semble avoir été beaucoup plus celui d'accidents coulissants. Ceci est notamment patent pour la faille de Vizille (Barféty et Gidon, 1997) et surtout pour l'accident de la limite orientale du rameau interne de Belledonne (prolongement septentrional de la faille jurassique du col d'Ornon). En effet cette dernière cassure est bordée de plis aplatis qui se redressent contre elle et s'y effilent en biseau, du sud vers le nord, ainsi que de lames de socle, qui s'en détachent et s'effilent au contraire dans la couverture du nord vers le sud. En outre elle est encore actuellement dotée d'une sismicité dextre.

2.2. La structure des chaînes subalpines septentrionales résulte-t-elle d'un chevauchement profond ?

De nombreuses données connues viennent en contradiction avec l'interprétation selon laquelle la déformation des massifs subalpins septentrionaux découlerait d'un chevauchement profond de Belledonne et en trahiraient l'existence. Les unes sont des faits concernant des structures locales, les autres ont trait à ce que la confrontation des données de terrain nous a appris sur la déformation tectonique d'ensemble dans ces chaînons.

2.2.1. Incompatibilités avec les données de terrain locales

J'énumère ci-après, parmi les assertions communément trouvées dans les publications qui admettent cette interprétation, et plus précisément dans la plus récente (Deville et Chauvière, 2000), celles dont le caractère inacceptable me paraît le plus flagrant :

2.2.1.1. Les plis jurassiens, notamment les anticlinaux du Ratz et de l'Épine, sont supposés correspondre (en particulier dans la note précitée) à des chevauchements à flèche plurikilométrique qui émergeraient au flanc ouest de ces plis. Or de tels rejets sont hors de proportion avec le rejet, en réalité mineur, des failles qui s'y observent. Mais surtout ces cassures sont subverticales et dotées de crochons extensifs. De plus, au moins dans un cas (celui de la faille de Montaud-La Buisse, qui rompt le flanc ouest de l'anticlinal du Ratz), leur fonctionnement (distensif) a été antérieur au Miocène (éocène ou oligocène) car ce dernier y cachète un graben rempli de Sénonien.
D'une façon plus générale il faut remarquer que la voûte des anticlinaux jurassiens a déjà été érodée, souvent profondément, avant la transgression miocène (le Sénonien et l'oligocène n'étant consevés qu'au plus creux des synclinaux). Ceci veut dire que ces plis, dont beaucoup se prolongent dans les chaînes subalpines, étaient fortement ébauchés dès l'aube du Miocène. Ces plis n'ont donc pas attendu la surrection (miocène) de Belledonne pour se former ; a fortiori on ne peut pas mettre leur formation sur le compte de l'effet lointain d'un charriage de Belledonne, ni d'aucun écaillage profond post-miocène.

2.2.1.2. L'importance de la flèche de chevauchement attribuée au "chevauchement du front subalpin" des Bauges, qui amènerait la molasse du sillon d'Aix - Rumilly a s'enfoncer de 20 km vers l'est sous les Bauges, est incompatible avec les faits visibles sur le terrain. En effet ce chevauchement s'atténue vers le nord pour faire place, au Semnoz, à un anticlinal modestement rompu. D'autre part il existe des coupes naturelles qui permettent de mesurer le rejet E-W de cet accident. C'est déjà le cas en Bauges, dans la coupe du Chéran où l'addition des rejets des deux cassures qui le composent ne saurait excéder 4 km et où la molasse ne s'engage en aucune manière, vers l'est, sous l'une ni sous l'autre de ces deux cassures, contrairement à ce qu'exige la fiction d'un chevauchement à longue flèche.
Mais les choses sont encore plus indiscutables le long du chevauchement de la Chartreuse orientale, qui prolonge celui du front des Bauges vers le sud. En effet, dans les pentes qui tombent depuis le Grand Som sur le Guiers Mort, on localise parfaitement, sur l'une et l'autre des deux lèvres de ce chevauchement, les points où il sectionne la base de l'Urgonien. On peut constater que la distance qui sépare ces deux points, mesurée transversalement au chevauchement (c'est-à-dire la flèche de ce dernier), ne saurait dépasser 3 km (M.Gidon, 1988). Il est donc exclu de faire "absorber" à cet accident, certes majeur, le rejet, bien plus important, que l'on voudrait attribuer au "charriage" de Belledonne.

2.2.2. Incompatibilités vis-à-vis des caractères d'ensemble de la tectonique des chaînes subalpines septentrionales :

Les quelques points évoqués ci-dessus ont généralement été mieux pris en compte par les tenants de l'hypothèse du chevauchement de Belledonne, de sorte que les essais cherchant à retrouver la sortie du prétendu chevauchement profond dans l'un ou l'autre des accidents de surface reconnus se sont raréfiés.
En l'absence de toutes traces visibles d'un accident répondant aux caractéristiques souhaitées, la plupart des auteurs ont été contraints de le considérer comme un "blind thrust", c'est-à-dire un accident qui n'atteint pas la surface du sol (soit qu'il s'amortisse, soit qu'il soit cacheté avant). La plupart des schémas proposés sur cette base penchent désormais pour un amortissement par diffusion du mouvement dans la couverture. Ils répartissent donc, selon des taux variables au gré de chaque auteur, la flèche du chevauchement entre plusieurs chevauchements des chaînes subalpines septentrionales, voire du Jura. En outre on envisage volontiers que ces chevauchements sont eux-mêmes, éventuellement, amortis dans des plis, censés être formés par la "progression" de ces chevauchements.

Toutefois ces schémas appliquent en général strictement une géomérie de chevauchements en paliers et rampes. Ce faisant leurs auteurs ont été conduits à négliger deux aspects difficilement contournables de la déformation profonde des chaînes subalpines septentrionales :
- Le premier est le rôle de découplement dysharmonique, pourtant bien classique, qu'ont joué certains niveaux stratigraphiques, tels les divers schistes du Jurassique, à l'encontre de la transmission des déformations du bas en haut de la pile des couches.
- Le second est le rôle capital joué par les plis couchés étirés, dont l'existence est reconnue de longue date, au nord des Bauges et plus spécialement dans le Jurassique du Haut Giffre. Ceci démontre que ces niveaux n'ont pas eu le comportement tectonique, en chevauchements par paliers et rampes, dont les tenants du chevauchement généralisé importent le schéma. À ce propos il faut ajouter que les seuls accidents qui sembleraient, par leur dessin en escaliers, répondre à ce schéma s'avèrent systématiquement être d'anciennes failles extensives. Leur attitude actuelle vient de ce qu'elles ont été déformées, par un cisaillement tangentiel sub-parallèle aux couches, dans les niveaux marneux (Pairis J.-L. et Pairis B., 1974 ; M.Gidon, 1997).

Mais surtout la chronologie des déformations ainsi que plusieurs traits importants de la géométrie structurale des chaînes subalpines septentrionales montrent, comme on va le voir, qu'une liaison causale entre les accidents subalpins et un mouvement cisaillant profond, induit par une avancée vers l'ouest du socle cristallin soulevé, plus à l'est, dans la chaîne de Belledonne ne peut être admise.

2.2.2.1 . La tectonique des chaînes subalpines septentrionales ne peut se résumer à une seule étape post-miocène

Sans rentrer dans les détails de la chronologie des déformations, il faut rappeler que celle-ci est complexe et, en tous cas, polyphasée (M.Gidon, 1981). Elle comporte en particulier la formation de structures compressives anté-oligocènes (bien étayées dans la bordure occidentale de la Chartreuse), qui sont donc nettement antérieures au soulèvement des massifs cristallins externes. Ce simple point ne s'accorde déjà pas avec l'hypothèse du chevauchement de socle, qui rapporterait tout à une seule phase tardive. (dont tous les auteurs ont implicitement admis l'âge post-Miocène).

D'autre part on observe (M.Gidon, 1997) :
- de nombreuses traces du reploiement de failles inverses (témoignant donc d''une tectonique compressive très précoce), par le système des plis majeurs des chaînes subalpines septentrionales ;
- des indices de la reprise locale de ces plis majeurs par un cisaillement rétroverse, lequel traduit plutôt un mouvement de reflux de la couverture par dessus la voûte de la chaîne de Belledonne ;
- une reprise de cette structuration par un plissement à grand rayon de courbure, qui dessine essentiellement un grand synclinal parallèle à la voûte de la chaîne de Belledonne (mais oblique aux autres plis), le "synclinal de Serraval" (fig. 2). Il s'agit là d'une déformation peu pénétrative et limitée au dessin de voussures, sans cisaillement ni déversement important vers l'extérieur de la chaîne alpine.
Or c'est bien cette dernière étape de déformation qui paraît raisonnablement attribuable à celle des mouvements tectoniques qui ont occasionné la surrection et la voussure de la chaîne de Belledonne, car elle en épouse parfaitement la direction, le style et les effets sur les structures antérieures.

À ce propos il est à noter que la localisation de très nombreux plis semble avoir été déterminée par la pré-existence de failles extensives qui ont fonctionné, selon les cas, depuis le Crétacé inférieur jusqu'au Nummulitique inférieur. Or ces failles semblent représenter des tassements au sein de la pile stratigraphique en cours de dépôt, bien plus vraisemblablement que l'effet d'une extension plus profonde de la croûte. On voit donc mal comment elles auraient pu, ultérieurement, guider vers la partie haute de la couverture la propagation d'accidents chevauchants issus de la profondeur.

2.2.2.2. La formation des plis majeurs des chaînes subalpines septentrionales ne peut pas s'expliquer par un froncement, qu'aurait occasionné l'avancée en chevauchement du bloc cristallin de Belledonne.

En effet ces plis, bien loin de s'engager sous la bordure des affleurements du socle, ont des axes qui se relèvent au flanc de de la chaîne de Belledonne, depuis son extrémité sud jusqu'au massif des Aiguilles Rouges. Ils se prolongeaient donc certainement par dessus, dans la couverture du cristallin de cette chaîne, avant que l'érosion l'ait enlevée. C'est d'ailleurs ce que l'on voit dans le secteur de Vizille, où la voûte du socle s'enfonce vers le sud sous sa couverture jurassique : ces plis se prolongent bien, par dessus cette voûte, jusqu'au revers oriental du massif de Belledonne.
On note même, dans ce secteur, que certains de ces plis sont rompus en chevauchements à vergence est (accidents du Jurassique moyen de Romage, du Lias du Conest et du Sénépy, du Jurassique supérieur de Gresse ; cf. fig. 5), ce qui s'accompagne de la présence d'une schistosité tardive à tendance rétroverse. Cette géométrie ne s'accorde pas avec une remontée chevauchante du socle en direction de l'ouest par rapport à sa couverture et indique, bien plutôt, un mouvement d'enfoncement relatif de ce socle, sous la couverture subalpine.
Enfin, toujours dans ce même secteur, il est évidemment impossible d'expliquer les plis N-S de la Matheysine, du Beaumont et du Dévoluy par un charriage du socle vers le nord-ouest, car ils se placent tout à fait en arrière du supposé front chevauchant et affectent une couverture sous laquelle on voit partout le socle s'enfoncer par simple plongement, sans aucune trace de contact tectonique par faille inverse.

D'autre part on sait que, dans la partie nord des Bornes et dans le Haut-Giffre, les axes des plis sont tordus par la virgation des Bornes, de telle sorte que leur direction devient E-NE - W-SW. Ils font alors, avec l'axe de la voûte des massifs cristallins externes, un angle aigu pointant vers le NE (à la différence de ce qui se passe au sud des Bornes, où ils font un angle aigu pointant vers le SE) : or, malgré tout, les axes de ces plis "grimpent" de la même façon sur le flanc du massif cristallin des Aiguilles Rouges. Il est donc indéniable que la virgation de ces plis ne saurait être liée à un mouvement de chevauchement du socle, ni a une torsion postérieure à son avancée chevauchante, puisque la surface de celui-ci montre une géométrie simple et régulière qui la fait s'enfoncer de la même manière sous les plis, quelle que soit leur direction.

Dans le même ordre d'idées, si l'on considère les variations du style tectonique dans les massifs subalpins septentrionaux, on devrait s'attendre, dans le cas d'une compression due à l'avancée d'un lame de socle chevauchante, à avoir un gradient de ductilité de la déformation et d'intensité du raccourcissement qui croisse orthogonalement aux limites du massif cristallin (du NW vers le SE), en se rapprochant de celui-ci. Or il n'en est rien, et ce gradient est fortement oblique à l'allongement du massif cristallin, puisque la pénétrativité de la déformation s'accroît du sud vers le nord, depuis le Vercors jusqu'au Haut-Giffre. Cette observation montre bien que la direction de l'axe de soulèvement des massifs cristallins externes est sans rapports avec l'orientation du système de contraintes qui a régi le plissement des chaînes subalpines septentrionales. En fait il traduit à la fois un héritage du Jurassique et l'effet d'une structuration indépendante (et, au moins en partie, tardive) par rapport à celle de leur couverture sédimentaire.

2.2.2.3. Les chevauchements subalpins ne peuvent pas se raccorder à un accident passant sous Belledonne.

Sous l'angle chronologique ce sont surtout les chevauchement les plus externes des domaines subalpin et jurassien, du moins dès lors qu'ils affectent indubitablement le Miocène, qui pourraient prétendre être l'hypothètique écho en surface d'un chevauchement profond lié à la surrection de Belledonne. Le plus susceptible de représenter un candidat valable à ce titre est sans doute le chevauchement de la Chartreuse occidentale, (ou faille de Voreppe), d'autant que son tracé est, de tous, celui dont l'azimut est le plus proche de celui de l'axe de la chaîne de Belledonne et que l'on ne voit pas (de ce fait) ce qu'il devient aux approches de cette chaîne. Par contre les chevauchements du massif des Bornes et de sa bordure externe (Mont Veyrier et fenêtre de la Fillière, sondages du sillon molassique) ne sauraient rentrer dans ce cadre car ils sont cachetés par le Néogène.

Quel que soit leur âge, les chevauchements plus orientaux, tels le chevauchement de la Chartreuse orientale (certainement post-Miocène) et, dans les Bauges, celui du Margériaz (peut-être anté-Miocène), on observe leur disparition vers le haut "dans le ciel", lorsque leur tracé débouche, à son extrémité sud, dans le sillon subalpin. En fait le second de ces accidents, qui y aboutit au sein des couches du Jurassique supérieur paraît bien se poursuivre plus bas dans la succession stratigraphique, sur l'autre rive. Il y correspond, dans les collines bordières de Belledonne (à l'est de Goncelin), à une zone de cisaillement presque parallèle aux couches, qui se localise au niveau de l'Aalénien. Cette disposition est très analogue à celle que montrent, plus au nord, les chevauchements du Dogger de la montagne de La Table. Dans les deux cas la zone de cisaillement est peu oblique aux couches, de sorte qu'elle ne s'engage pas vers le bas, vers l'intérieur du socle, mais vers le haut, tangentiellement à la surface supérieure de ce dernier.

Malheureusement, dans les cas précédents, l'érosion a enlevé trop de couverture pour que l'on puisse suivre avec une certitude absolue ce que deviennent les structures des massifs subalpins septentrionaux au flanc de la voûte de socle de la chaîne de Belledonne.
Dans les revers orientaux des massifs des Aravis (environs de Megève, fig. 2) et de Sixt-Platé (fig. 3), par contre, les rapports entre les chevauchements qui affectent la succession mésozoique subalpine et le socle de Belledonne sont bien visibles, car il n'y a pas de hiatus d'érosion ni de masque par le Quaternaire. Ces secteurs ont fait l'objet de nombreuses études (notamment celles de B. Pairis,1974 ; B. Lejeune,1973 ; B. Pijolat, 1978 ; S.Triboulet, 1980 ; C.Eltchaninoff, 1980 et J.L. Epard, 1986), études dont les conclusions ne divergent que sur l'appréciation de certains détails.



Fig. 2 - Schéma perspectif très simplifié des Aravis septentrionales
montrant, très schématiquement, leurs rapports avec les secteurs voisins. figure agrandissable
Les hauteurs sont un peu exagérées, pour mieux schématiser les contrastes de pente entre les différents secteurs, et les terrains des nappes d'origine interne ne sont pas représentés.
Noter particulièrement le système des failles plates (peu inclinées par rapport aux couches) qui affectent tous les termes de la série stratigraphique entre l'accident médian de Belledonne et le synclinal de Serraval (on ignore dans quelle mesure ce système se poursuit, dans la profondeur de la succession des couches, sous ce synclinal). Il est très évident qu'aucun des chevauchements de ce secteur ne peut être en rapport avec un supposé "chevauchement de Belledonne" qui serait censé passer quelque part à l'ouest de l'aplomb de Megève.
Noter aussi la géométrie du remplissage du "synclinal" de Chamonix et l'absence de chevauchement du socle du Mont-Blanc sur le contenu de cet ancien hémigraben.

De ces études il ressort que, au nord comme au sud de la vallée de l'Arve, la couverture subalpine est affectée de chevauchements. Mais d'une part ces chevauchements cohabitent, dans partie inférieure (jurassique) de la série, avec des plis de taille kilométrique, fortement déversés vers le nord-ouest. D'autre part ces chevauchements s'avèrent correspondre à d'anciennes failles extensives qui ont été déformées et couchées vers l'ouest par le cisaillement de la pile de couches (Pairis J.-L. et Pairis B., 1974 ; M.Gidon, 1997). Quoi qu'il en soit, leur tracé suit, dans les couches marneuses, de long paliers presque parallèles au couches, qui se poursuivent ainsi, tangentiellement à l'interface socle - couverture, jusque sur le flanc occidental du massif des Aiguilles Rouges : ils n'y manifestent aucune tendance à s'engager vers la profondeur, à l'ouest de la voûte de ce massif. Quant aux flancs des plis, ils sont affectés de replis mineurs. dont beaucoup se disposent en trains successifs, avec une disposition de leurs plans axiaux qui indique qu'il s'agit de froissements induits par un cisaillement presque parallèle aux surfaces de couches.
Enfin la surface de charriage de la nappe de Morcles s'élève sur le flanc ouest de ce massif, parallèlement à l'interface socle - couverture. D'ailleurs on sait bien, car cela se voit plus au nord, dans la vallée du Rhône, que le pli complexe qui constitue cette nappe est couché sur la voûte du massif des Aiguilles Rouges, et qu'il ne saurait donc avoir été créé par un chevauchement du socle de ce massif.

Fig. 3 - Coupe synthétique de la partie méridionale du massif de Sixt version plus grande de cette image
Cette coupe d'ensemble est allégée de nombreux détails afin de bien montrer les thèmes majeurs de la structure visible le long de la coupe naturelle de la cluse de l'Arve, qui fournit la clé de toute la tectonique du massif.
Les différentes localités indiquées ne sont pas toutes situées sur ce transect, beaucoup se situant nettement plus au nord (leurs noms sont mis entre crochets), d'autres sur une transversale plus méridionale (leurs noms sont mis entre parenthèses). La position qui leur a été attribuée correspond seulement à leur situation dans l'édifice tectonique.

ØP = surface de charriage des nappes des Préalpes médianes ; ØMo = surface de charriage de la nappe de Morcles (nappe helvétique inférieure).
Failles anté-nummulitiques, déformées par le cisaillement de la pile de couches (entre parenthèses, le chevauchement qui en résulte) : f.B = faille de Balme (ØB = chevauchement de Balme) ; f.M = faille de Magland (ØMa = chevauchement de Magland) ; f.G = faille de la Grangeat (ØVA = chevauchement de Vange - Areu) ; ØCB = chevauchement de Croise Baulet ; ØP = chevauchement de la pointe de Platé.
L'ensemble de ces structures est affecté par de vastes ondulations, sans doute plus tardives, dont les noms sont indiqués dans le haut de la figure.
Les entailles naturelles de Sixt, au nord, et de Megève, au sud, montrent que l'interface socle - couverture subit là une remontée, par rapport à sa pente générale. Cette géométrie, dessinée ici comme une douce inflexion synforme, correspond peut-être, en fait, à l'escalier limitant un bloc secondaire, ce qui pourrait expliquer, entre autres, la remontée brutale du granite de La Motte (au sud-ouest de Megève).

En définitive tout indique que la tectonique de la partie inférieure de la couverture des massifs subalpins septentrionaux est fondamentalement réglée par un déplacement vers l'ouest, selon des surfaces parallèles à l'interface avec le socle cristallin, qui restent au dessus de cette interface et qui plongent vers l'ouest. Cette tectonique ne montre aucun indice d'accidents qui s'engageraient en direction de l'est vers la profondeur, et qui pourraient ainsi se connecter à une cassure chevauchante du socle. Elle atteste au contraire de ce que ses structures fondamentales ont subi une déformation tardive par des ondulations de la surface du socle. Ceci porte à ne voir, dans la surrection de la chaîne de Belledonne, qu'un évènement tardif et de faibles conséquences sur la tectonique de sa couverture.


3.3. Que révèle la structure des massifs cristallins externes et de leurs enveloppes sédimentaires ?

2.3.1. Comment se manifeste la déformation à la surface du socle ?

L'étude des structures qui affectent le socle (plus exactement de l'interface socle - couverture) ne témoigne guère, non plus, d'un contexte de déformation en chevauchement par failles inverses tardives.

Certes l'on observe bien, de ci de là, des petits chevauchements impliquant du socle. Tel est notamment le cas des "écailles du Clos", qui débitent la crête du rameau externe de Belledonne, en marge ouest de l'accident médian (Barféty et Gidon, 1996), au SE du col de Pré Long (environs de Saint-Mury), celui du Houiller qui chevauche sur le Lias en bordure orientale du graben des lacs de Saint-Sorlin, à l'extrémité septentrionale des Grandes Rousses, etc... Mais tous sont des accidents purement locaux, qui ne dénivellent pas gravement la surface du socle et affectent la marge supérieure des anciens hémigrabens, voire seulement la crête des blocs de socle, sans s'engager en profondeur dans ce dernier. Il faut sans doute ranger aussi dans ce cadre les accidents très tangentiels qui redoublent le Lias calcaire et le Trias d'En-Paris (fig.5), mais ne pénètrent absolument pas dans le socle sous-jacent (qui n'y est affecté que de failles verticales).
La plupart des nombreux autres accidents que l'on a voulu interpréter en écaillages imbriqués ont des pendages très redressés ; ce sont soit des micro-blocs de socle, écrasés, soit des failles normales basculées, soit même un simple renversement, sans faille, du cristallin du fond d'un hémigraben sur sa couverture (le cas le plus spectaculaire est celui du "chevauchement" du Sirac).

En fait il n'y a que très peu de chevauchements véritables, reconnaissables comme tels à ce qu'ils font un angle aigu avec l'interface socle - couverture, qui se poursuivent dans le socle et aient une ampleur notable. Tel est le cas tout particulièrement pour le chevauchement de la Meije et pour celui du Chaillol, qui affecte la partie sud du massif du Pelvoux. La plupart, et ces derniers notamment, ont un tracé plutôt E-W, donc transverse aux blocs découpés au Jurassique, et se révèlent, d'autre part avoir eu un fonctionnement anté-nummulitique. Tout ces traits excluent qu'ils puissent se connecter en profondeur à un chevauchement qui soit à vergence ouest et dont l'âge serait miocène.

Au vrai, ce qui caractérise la marge externe des blocs de socle est systématiquement un fort basculement vers l'ouest, lié à une courbure antiforme, de la surface du socle. Celle-ci plonge de plus en plus vers la profondeur, en décrivant une inflexion en large demi-voûte. Aux approches de la cassure qui limite l'hémigraben du côté externe, l'interface socle-couverture devient même sub-parallèle à cette cassure, au lieu d'y être tranchée en biseau par elle. On observe cette disposition partout, surtout si l'on dispose de coupes assez profondes, par exemple au col de la Muzelle, où l'interface est verticale et parallèle à la faille limite de l'hémigraben, ou au Sirac, où l'interface se renverse sur le contenu de l'hémigraben. Mais on l'observe aussi dans des cas comme celui des abords de Prapoutel, où l'on est pourtant proche de la voûte du bloc de socle : le Permien de la lèvre orientale, correspondant au rameau interne de Belledonne, y plonge en effet vers l'ouest jusqu'au delà de la verticale, tout le long de l'accident médian.

On peut trouver paradoxal que les chevauchements par failles de socle soient pratiquement absents dans la tectonique post-nummulitique des massifs cristallins externes, alors qu'ils ont été, par contre, bien représentés, lors de la tectonique anté-nummulitique, dans le massif du Pelvoux (Gidon M., 1979). Ceci s'explique sans doute très simplement par la différence de charge subie par le socle à l'occasion de chacune de ces étapes :
- Avant la transgression par la mer nummulitique, la charge lithostatique que supportait le massif du Pelvoux devait, en effet, être particulièrement faible, favorisant ainsi un comportement cassant (le socle de ce massif a d'ailleurs été mis à nu, par l'érosion, avant le dépôt du Nummulitique). Les chevauchements y montrent d'ailleurs des vergences opposées, vers le NW au nord (chevauchement de la Meije, etc...) et vers le S au sud (chevauchement du Chaillol), et cette disposition aboutit à une sorte d'extrusion, en "pop up" du socle dénudé avant le Nummulitique, par rapport à ses bordures restées enfouies sous du Mésozoïque.
- Par contre, après le Nummulitique, la charge lithostatique s'est accrue, sur l'ensemble des massifs cristallins externes, du poids des sédiments paléogènes et de la surcharge des nappes d'origine interne. Cela a dû favoriser un comportement plus ductile du socle, soumis dans le même temps aux efforts tectoniques liés l'arrivée de ces nappes.

2.3.2. Comment se manifeste la déformation dans les hémigrabens ?

Le trait le plus frappant de la tectonique de la couverture dans les hémigrabens est le fort redressement des structures, qui s'étirent verticalement en développant une schistosité subverticale. Cette géométrie avait déjà été finement analysée par J.Vernet, qui l'interprétait comme le résultat d'une succion vers le bas, s'opposant au bombement des blocs de socle voisins (Vernet J., 1965). Si l'on sait maintenant que l'origine première des pincées qui s'enfoncent profondément en contrebas du toit du socle est l'extension jurassique, il reste bien vrai que l'étirement vertical de la couverture sédimentaire est une règle qui se vérifie dans tous les secteurs où sont mises à nu les parties les plus profondes des anciens hémigrabens.

 

Fig. 4 : Coupe géologique synthétique du "synclinal" de la Vaurze
au nord-ouest de Villar-Loubière (rive droite de la vallée du Valgaudemar).


La coupe est construite à partir des observations visibles sur le versant sud-est du col de la Vaurze.
Les plans axiaux des plis sont représentés en tirets longs.

Au nord du col, en Valjouffrey, la structure se simplifie beaucoup et se résume en un étirement subvertical d'une succession sédimentaire Trias-Aalénien, ce dernier terme s'appuyant contre le socle cristallin du Clotonnet et du Pic de Valsenestre (à la façon de ce que montre ici la partie haute de la coupe).

f.DV = faille du Désert-en-Valjouffrey - Villar-Loubière (ancienne faille limite externe de l'hémigraben).
jP = chevauchement du Péou de Périnon (cet accident, local, ne se poursuit pas plus au nord, en Valjouffrey). Au dessus de cette faille on ne distingue plus de plis dans le Lias calcaire, mais il se peut que cela soit dû à l'intensité de l'écrasement et de la schistosation subverticale des couches.

Un autre aspect, très significatif, du fond des anciens hémigrabens est que l'on n'y voit jamais des plis de couverture s'engager sous le socle du plancher interne de l'hémigraben, comme cela devrait se produire s'il y avait eu "inversion" du jeu de la faille qui limite l'hémigraben du côté externe. Au contraire, lorsqu'on y observe encore des plis, ces derniers au lieu se déverser vers l'extérieur de la chaîne (ce qui devrait résulter d'une telle inversion) y montrent des plans axiaux subverticaux et sont même, souvent, plutôt déversés vers la partie plus interne du bloc. Ce n'est que plus haut, au débouché supérieur de l'ancien hémigraben, que l'on observe le basculement des plans axiaux de ces plis vers l'extérieur de la chaîne (et, éventuellement, des chevauchements, accessoires et de faible extension).
Le passage des plis profonds légèrement déversés vers l'est aux plis supérieurs déversés vers l'ouest, n'est malheureusement visible, dans sa totalité, que là où les coupes naturelles dont on dispose à l'interface socle - couverture sont assez profondes. C'est le cas, d'abord sur les marges du massif du Pelvoux, où les exemples du "synclinal" de Bourg-d'Oisans (Barféty et al., 1970 ; Gratier et al, 1973 ; Gratier & Vialon, 1980), du "synclinal" de la Vaurze (fig. 4) et des environs de Mizoen (fig. 5) sont particulièrement illustratifs. Plus au nord c'est aussi le cas à l'extrémité septentrionale des Grandes Rousses (col de la Croix de Fer) et aux confins du Beaufortain et du massif du Mont-Blanc (en particulier dans le secteur du col du Joly). Mais partout ailleurs, bien que l'observation du dispositif y soit plus partielle, les traits observables sont conformes à ce schéma général.




Fig. 5 - Coupe composite du bord ouest du plateau d'En-Paris, en rive nord de la gorge de la Romanche

Disposition tectonique d'après les observations de M.Gidon, interprétées stratigraphiquement à partir des levers de J.C.Barféty (carte géologique, feuille La Grave), retouchés. Les niveaux les plus calcaires sont en pointillés. figure agrandissable
La forme des plis est scrupuleusement représentée : elle témoigne bien du rabattement vers l'ouest de la partie haute de ces plis, ainsi que des failles, verticales dans le socle (qui sont évidemment antérieures au cisaillement plat qui a agi parallèlement à l'interface de la voûte du bloc d'En-Paris).
La faille du Chambon est l'accident qui limite l'hémigraben du Ferrand par rapport au bloc des Grandes Rousses. La faille des Prés Nouveaux (= CC sur la feuille La Grave) est la faille extensive de la limite orientale du bloc d'En Paris, qui a été déformée en faux chevauchement par le décollement de la couverture du plateau d'En-Paris (fig.7). En effet les parties hautes de cet accident majeur (Tête du Vallon) montrent le repos direct de l'Aalénien sur une série liasique très réduite (voire absente) qui est celle du revers oriental de ce bloc. D'autre part il est clair que la disposition actuelle de cet accident est le résultat d'un écrêtage du sommet du bloc cristallin d'En-Paris par le mouvement en cisaillement tangentiel de la couverture (ce qui s'y manifeste entre autres par les imbrications du Rif Tord). Le synclinal de la Tête du Vallon représente l'homologue, en ce qui concerne l'hémigraben d'Arsine (fig.7), de celui du Praouat vis-à-vis de l'hémigraben du Ferrand.


3. Vues nouvelles

Les données discutées ci-dessus portent à jeter un autre regard sur les relations entre la déformation du socle cristallin et celle de sa couverture.

3.1 Présentation d'un nouveau schéma explicatif

On vient de voir que la tectonique de la surface du socle des massifs cristallins externes répond, sur toutes les transversales où on l'observe, à un dispositif général qui est le même, en coupe, pour chacun des anciens hémigrabens hérités du Jurassique. Cette géométrie porte à envisager une évolution structurale commune, dans lequel le phénomène de l'inversion n'a guère de place, contrairement à ce qui est admis communément. On peut la résumer en un schéma explicatif général, qui prend, bien sûr, pour base de départ le dispositif blocs - hémigrabens hérité du Jurassique (fig.6 croquis 1). Fondamentalement, ce schéma fait appel à l'addition des effets de deux processus de déformation tout-à-fait distincts :

- en premier lieu un écrasement E-W des blocs N-S et des hémigrabens qui avaient été découpés par l'extension jurassique (croquis 2).
Il s'exprime par une torsion, en voûte basculée vers l'ouest, de l'interface socle - sédimentaire du flanc occidental des blocs et par le basculement vers l'est, les redressant parfois jusqu'à la verticale, des cassures extensives qui limitent ces blocs du côté oriental. Un écrasement corrélatif des hémigrabens qui séparaient les blocs de socle a induit le plissement (avec des plans axiaux subverticaux, voire déversés vers l'est) de leur contenu.
- en second lieu un cisaillement vers l'ouest des parties hautes de la couverture, dont toutes les structures (plis et chevauchements) sont rabattues presque à l'horizontale (croquis 3).
Ce cisaillement ne s'exprime d'ailleurs, le plus souvent, que par une déformation continue (sans surface de discontinuité). Il déforme les parties hautes des cassures et des plis qui avaient été formés par le pincement de l'hémigraben, en les rabattant puis en les étirant vers l'extérieur de la chaîne alpine. Il en résulte une torsion des plans axiaux des plis, qui se voit particulièrement bien dans le synclinal de la Vaurze (fig. ci dessus), au flanc ouest du plateau d'En-Paris, d'une façon générale au nord de la Romanche (fig.), ou (avec moins d'évidence) plus au nord, en Maurienne et en Beaufortain (col du Joly). Dans certains autres cas, le cisaillement se concentre sur des surfaces le long desquelles s'injecte un coussinet de Trias gypsifère. On voit dans plusieurs cas que ce dernier correspond en fait au coeur d'anticlinaux préexistants, dont la charnière a été rompue par le cisaillement (extrémité méridionale du chevauchement de l'unité ultradauphinoise des Aiguilles d'Arves, notamment)
C'est en outre ce cisaillement des superstructures qui a sans doute produit un certain nombre de chevauchements mineurs et même détaché quelques lames cristallines flottantes. Tel pourrait être le cas de la klippe de Roselette, à l'extrémité sud du massif du Mont-Blanc, dont l'attitude subhorizontale tranche franchement sur celle de son substratum, où les blocs de socle ("claveaux" de C.Bordet, 1957) sont limités par des failles verticales. Cette klippe a sans doute été arrachée à la crête d'un bloc particulièrement saillant, par entraînement avec la couverture sédimentaire transportée vers l'ouest par le cisaillement.


figure agrandissable // version plus grande de cette image
Fig. 6 - Schéma des modalités des déformations superposées du socle et de sa couverture proche.
Le croquis 3 correspond au dispositif final, actuellement observable, dont la géométrie ne laisse guère d'autres possibilités d'évolution antérieure que celles représentées en 1 et 2.
La surface de chevauchement représentée en 3 s'inspire de celle de la zone ultradauphinoise. Le prolongement, dans le socle, de tels accidents, associés au déplacement de la couverture, n'est observé, dans les faits, que sous l'aspect d'accident mineurs, par exemple le chevauchement du Péou de Périnon, au flanc nord-est du "synclinal" du col de la Vaurze (fig.4). Un chevauchement d'une telle origine, décapitant la crête d'un des blocs élémentaires de la chaine du Mont-Blanc, pourrait aussi expliquer, en Beaufortain, la mise en place de la klippe de Roselette.

3.2 Examen plus approfondi de ce schéma

Le schéma de tectogénèse proposé ci-dessus laisse en suspens certains problèmes et a des implications qui permettront, si on les examine de plus près sur le terrain, d'en mesurer la pertinence et la valeur explicative.

3.2.1 - Problèmes d'orientation et de chronologie

Ce schéma est d'abord délibérément muet sur deux points, savoir l'orientation de la coupe et l'âge des deux étapes de déformation invoquées.

L'orientation de la coupe a été omise, car ce schéma s'applique, selon la latitude considérée, à des hémigrabens dont l'orientation est différente (l'hémigraben de la Vaurze s'allonge du nord-ouest vers le sud-est). Ce fait est sans doute très significatif en ce qui concerne l'arcuature des Alpes occidentales françaises, mais son interprétation déborderait du cadre du présent article.
Toujours à propos de l'orientation du dessin de ce schéma, il faut souligner qu'il tombe dans le travers très commun, qui est de ne considérer les déformations que dans deux dimensions, seulement suivant un plan vertical orthogonal aux plus grandes structures. C'est dire qu'il néglige a priori tous les mouvements obliques à ce plan, plus ou moins longitudinaux par rapport à ces grandes structures. En particulier il ne prend pas en compte le rôle des coulissements longitudinaux, plus ou moins discontinus dans la couverture ou concentrés sur des failles du socle. Pourtant le jeu de ces accidents est sans doute important comme le montrent de nombreux indices.
Ceci étant dit, l'examen de la coupe naturelle exceptionnelle qu'offre la vallée de la Romanche à la latitude de Bourg-d'Oisans (fig. ci-après) illustre combien sa compréhension s'éclaire dans le cadre de l'interprétation ici proposée.

Fig. 7 - Coupe synthétique très schématique des massifs cristallins externes ,
sur la transversale empruntée par la vallée de la Romanche (au sud et au sud-est de Grenoble)

A/ coupe supérieure : La seule partie hypothétique du dessin est celle de la portion de socle représentée en hémigraben à l'ouest du "Dôme de la Mure". Mais on notera combien sont similaires les dessins des vôutes des autres blocs de socle successifs : cela incite à penser que la partie invisible du flanc occidental du bloc de La Mure a un dessin semblable, hypothèse qui a donc été retenue dans cette figure.

D'autre part on a représenté assez fidèlement le style, sinon les détails, des structures de la couverture sédimentaire, là où il en subsiste suffisamment de témoins. En fait c'est à l'aplomb du bloc du Taillefer, c'est-à-dire du "rameau interne de Belledonne", que l'on en manque le plus. On a figuré notamment les structures de la couverture correspondant aux secteurs où le bloc du Dôme de la Mure, c'est-à-dire le "rameau externe de Belledonne" s'enfonce sous les massifs subalpins du Vercors et de Chartreuse. Leur dessin montre combien il est peu vraisemblable de vouloir faire s'engager les racines des structures de ces massifs dans un chevauchement passant à l'ouest du Dôme de la Mure.

B/ En bas sont schématisées les deux étapes majeures de la structuration : 1 = extension jurassique ; 2 = écrasement + cisaillement de la partie supérieure de la couverture, après le Nummulitique (ce qui est représenté est le résultat final, mais il se peut que la déformation ait progressé, en s'accroissant, de droite à gauche, au cours du temps).
Observer que le raccourcissement transversal est obtenu par l'addition d'un enroulement de l'interface cristallin - sédimentaire du bord oriental de l'ancien hémigraben et d'un redressement de la faille limite de son bord occidental. Cela implique un raccourcissement en profondeur, dans la masse du cristallin, des blocs hérités du Jurassique, et, en compensation, un épaissisement vertical qui a dû être (au moins en partie) à l'origine de leur surrection.
Bien que contraire au dogme de la rigidité du socle dans la tectonique alpine, cette conclusion découle inéluctablement de la simple comparaison de la géométrie actuelle de l'interface socle cristallin - couverture sédimentaire avec celle que les observations stratigraphiques et paléotectoniques amènent à reconstituer (schéma 1).

Concernant le déroulement des évènements il faut remarquer que l'addition finale des effets des deux processus de déformation invoqués n'implique pas, a priori, qu'ils n'aient pu intervenir dans une même phase tectonique, de façon enchaînée voire même synchrone. On ne voit pas, cependant, que le cisaillement ait pu précèder ou induire le plissement, en raison de la torsion évidente des plans axiaux (fig.4 et 5). Par contre le développement d'une seconde schistosité, reprenant celle qui est plan-axiale des plis, est un fait qui a été signalé dans de nombreuses études sur les différentes transversales. Cette seconde schistosité, en général moins pénétrative, reprenant la première (attribuée au plissement) et affectant les deux flancs des plis déversés par le cisaillement, serait assez évidemment à coordonner avec l'étape de cisaillement.

Concernant l'âge de ces évènements on peut se demander s'il est le même dans chacun des hémigrabens qui se succèdent, d'ouest en est et du nord au sud de la chaîne. En effet l'on ne dispose d'aucune contrainte de fourchette chronologique pour dater ces étapes de déformation. De ce fait on peut même considérer comme plausible que l'une et l'autre de ces étapes aient été d'autant plus tardives que la position des blocs et hémigrabens que l'on considére est plus externe.
Cette dernière hypothèse est d'ailleurs intéressante, car elle est susceptible de porter un éclairage nouveau sur les rapports chronologiques entre les déformations du socle et les plissements de la couverture subalpine. En effet il est vraisemblable que ce plissement principal des chaînes subalpines ait été lié au déplacement, par cisaillement, du contenu expulsé des hémigrabens du domaine dauphinois interne. Il devient alors très logique que la surrection de Belledonne soit plus tardive et n'ait déformé ce système de plis que de façon minime (M.Gidon, 1981 et 1997), car il est normal que le socle de ce massif ait été le plus tardivement atteint par la déformation compressive, puisqu'il est le plus externe des Alpes..

3.2.2. Implications sur les rapports entre la tectonique de la couverture dauphinoise interne et celle de son socle :

Un point majeur de ce schéma explicatif est qu'il rend compte de l'antagonisme choquant entre la tectonique "de blocs" du socle, riche en cassures subverticales, et celle, riche en chevauchements, des unités de matériel sédimentaire dauphinoises et ultradauphinoises (fig. 7).
On remarquera d'abord, à ce propos, qu'il conduit à considérer les relations socle - couverture d'une façon qui paraîtra, de prime abord, un peu paradoxale. En effet les surfaces de mouvement importantes (éventuellement matérialisées par des discontinuités) y correspondent aux prolongement vers le haut des limites "internes", orientales, des blocs de socle (et non de leurs limites "externes", occidentales, comme on avait traditionnellement tendance à l'envisager). Cela amène à admettre que les unités chevauchantes les plus importantes de ces domaines ne correspondent pas à la couverture du bloc de socle auquel elles semblent se connecter en profondeur (comme le voudrait le schéma d'un anticlinal à coeur de socle étiré vers le haut). Au contraire elles représentent le contenu de l'hémigraben qui faisait suite à ce bloc du côté interne. La couverture propre du bloc, adhérente au socle, tient en effet peu de place, car elle est généralement formée par une série réduite, et fait figure d'écaille ou de repli secondaire, sous le premier chevauchement important visible dans la couverture.

Dans ce contexte on est conduit à regarder avec un oeil nouveau les raisons pour lesquelles, dans la partie de la couverture soumise au cisaillement sub-horizontal, ce cisaillement s'exprime de façon plus ou moins continue ou, au contraire, discontinue (avec ou sans surface de charriage bien définie) selon les unités considérées et suivant les points de celles-ci. Notre schéma porte en effet à attribuer cette variation à des différences locales, intervenues lors de l'extension jurassique, dans les rapports sédimentaires entre la couverture et le socle au niveau des hémigrabens. En particulier les chevauchement qui possèdent une semelle d'évaporites correspondent probablement à l'expulsion de la partie basse du remplissage des seuls hémigrabens où se sont alors déposées des évaporites triasiques. Les chevauchements que ne soulignent pas une telle semelle sont vraisemblablement "enracinés" dans les nombreuses portions d'hémigrabens dont le remplissage n'en a pas comporté.
Dès lors l'épaisseur de la semelle d'évaporites ne peut plus être tenue pour significative de l'importance du charriage mais apparaît seulement déterminée par la position paléogéographique, par rapport aux aires de sédimentation évaporitique, de la portion d'hémigraben dont le matériel charrié est originaire. Ce facteur ressort particulièrement de l'observation des variations longitudinales du style tectonique au sein même des grandes entités tectoniques issues du découpage en blocs, car elles y apparaisent, de fait, fortement liées à la présence ou à l'absence d'une importante semelle d'évaporites. L'entité des unités ultradauphinoises l'illustre assez bien par l'opposition flagrante entre ses deux ensembles constitutifs : au nord, une importante dalle charriée, dotée d'une puissante semelle gypseuse, qui se développe en Maurienne, au nord des Aiguilles d'Arves, de Saint-Sorlin au col de la Madeleine (les plis anté-nummulitiques y sont simplement transportés) ; au sud, une multiplication d'"écailles", en forme de plis couchés plus ou moins rompus, qui règne sur le versant de la Romanche dans le secteur de la Grave et du Lautaret (les plis anté-nummulitiques y ont ont été fortement déformés par le cisaillement interne de la série, du fait que cette dernière n'y a pas été décollée en bloc).
On notera que cette observation oblige à considérer que le découpage en blocs de socle, d'orientation actuellement subméridienne, n'est que l'un des aspect de la paléogéographie du Trias et du Jurassique et qu'il se superposait à d'autres canevas, à lignes isopiques plus ou moins transverses, plus ou moins latitudinales donc, qui régissaient l'altitude des voûtes de ces blocs et la profondeur des fonds d'hémigraben pour déterminer la présence ou l'absence des évaporites. Il n'est d'ailleurs pas invraisemblable que cette paléogéographie à lignes isopiques E-W ait joué un rôle dans la disposition des accidents tectoniques anté-nummulitiques, dont l'orientation est analogue.

3.2.3. Implications sur les rapports entre la tectonique subalpine et celle de la zone dauphinoise interne :

La prise en compte du schéma explicatif proposé ici a des conséquences en ce qui concerne la compréhension des rapports entre les plis droits, que l'on voit pincés dans les profondeurs des hémigrabens qui encadrent les blocs de socle, et les plis couchés, qui sont présents, par ailleurs, dans le soubassement des massifs subalpins septentrionaux (nord des Aravis et du massif du Haut-Giffre).
En effet le schéma suggère fortement que ces plis, malgré leur très grande différence d'attitude actuelle, devaient être connectés originellement les uns aux autres. Le raccord entre les plis droits et les plis couchés correspondrait simplement à la torsion qui marque la limite entre la zone profonde, d'écrasement du socle cristallin, et la zone plus élevée, de cisaillement sub-horizontal (fig.6). La dissociation de ces deux parties des plis serait dûe, d'une part, à l'érosion qui a supprimé le raccord et d'autre part au déplacement des têtes anticlinales, rabattues et étirés par le cisaillement de la couverture sédimentaire, vers l'extérieur de la chaîne.

De fait c'est une géométrie totalement cohérente avec ce schéma que l'on observe en Suisse, dans le secteur où s'enracine la nappe helvétique de Morcles, au nord de Martigny. Alors qu'en Oisans, en Maurienne et en Beaufortain l'érosion a supprimé les termes supérieurs au Jurassique moyen à l'aplomb des massifs cristallins, on voit là le raccord en continu du contenu de l'hémigraben de Chamonix avec la nappe de Morcles. Or la géométrie de cet "enracinement" correspond bien à une torsion du plan axial des plis (et des plis parasites de leurs flancs), contre l'épaulement oriental du bloc cristallin des Aiguilles Rouges. Cela conduit donc à envisager que les plis couchés des nappes helvétiques soient la partie haute de plis initialement droits, dus à l'écrasement de l'hémigraben, puis rabattus vers l'extérieur de la chaîne par le cisaillement.
Cette hypothèse ne paraît pas contradictoire avec les résultats des études microtectoniques sur ces secteurs, qui révélent une évolution cinématique complexe. Celle-ci a créé, dans la nappe de Morcles (Dietrich D. & Durney D.W., 1986), deux générations de linéations d'étirement, les unes précoces, dans le flanc normal, les autres tardives, dans le flanc inverse, et occasionné une rotation, dans le sens anti-horaire, de la direction de transport et d'étirement du matériel de la nappe. Les premières linéations pourraient aisément être assimiliées à celles dues au pincement initial dans l'hémigraben de Chamonix et les secondes à celles créées par le transport en cisaillement au dessus du socle des Aiguilles Rouges.
Une superposition analogue de deux schistosités, l'une associée à la formation des plis couchés, l'autre liée à un cisaillement tangentiel a été également mise en évidence un peu plus au sud, dans les chaînons français de la région de Megève (B. Lejeune,1973 ; B. Pijolat, 1978 ; S.Triboulet, 1980 ; C.Eltchaninoff, 1980 ; J.L. Epard, 1986).

3.2.4. Implications sur les modalités de la déformation alpine dans le socle :

D'innombrables observations (souvent fort anciennes) sur la tectonique de l'interface socle - couverture ont montré que cette interface avait subi des basculements et des torsions, et ce aux différentes échelles. Cette constatation implique que la tectonique alpine du socle s'est nécessairement édifiée, pour une bonne part, en dehors du simple jeu de ses fractures. C'est dire qu'une déformation continue s'est vraisemblablement produite au sein même de ce socle. En particulier cela porte à présumer qu'une partie de la foliation y est, au moins localement, d'âge alpin (et non hercynien). Mais peu d'études semblent s'être penchées sur ce sujet, en dehors de celles portant, en Suisse, sur les massifs de l'Aar et du Gottard (Marquer D. ,1990 ; Frei B. & Löw S., 2001). Ces derniers travaux ont plus précisément révélé que le socle y est débité par des couloirs de mylonite subverticaux, dont le jeu a permis des mouvements de fuite de matière vers le haut. On notera que c'est là une structuration qui ne témoigne pas en faveur d'une tectonique de type faille inverse, mais bien plutôt d'un écrasement tranversal au massif, conformément aux vues soutenues ici.

En définitive l'image de la tectonique néogène du socle cristallin qui est présentée ici est donc bien loin de ressembler à celle qu'aurait produit son débitage par failles inverses et son transport, vers l'extérieur de la chaîne, en tranches imbriquées. Elle suggère au contraire que, au niveau du socle, le transport de matière vers l'extérieur de la chaîne se heurtait à une forte résistance, au point d'y induire un écrasement transversal des anciens blocs jurassiques : cette conclusion est conforme avec l'hypothèse de l'autochtonie de ce socle (c'est-à-dire de sa déformation sur place, par raccourcissement transversal à la chaîne), bien mieux qu'avec celle de son simple transport, par le jeu de failles profondes. Ces dernières pourraient d'ailleurs exister néanmoins, sans que cela contredise véritablement le modèle proposé ici : simplement leur existence supposée n'est pas nécessaire et ne semble pas fournir de processus adéquat pour expliquer la tectonique visible.

4. Conclusions

Des arguments de tous ordres portent donc à estimer que l'hypothèse du charriage profond des massifs cristallins externes est dénuée de fondements. Le schéma alternatif présenté ici cherche à respecter les contraintes imposées par la géologie de terrain. Il se borne a prendre en considération les géométries visibles sur les différentes transversales à la chaîne, en délaissant les "modèles" théoriques tout prêts.

Ce schéma ne voit pas, dans la structuration des zones externes alpines, la conséquence d'une imbrication en profondeur de lames de socle plus ou moins horizontales, dont rien, hormis une pétition de principe, n'indique l'existence. Il considère au contraire que la tectonique néogène des domaines externes des Alpes a associé deux processus tectoniques, savoir un écrasement horizontal des blocs de socle hérités du Jurassique et de leurs anciens hémigrabens et un déplacement relativement indépendant de la couverture surincombante, par cisaillement tangentiel par rapport à la surface enveloppe des voûtes des blocs de socle. Ces deux mécanismes réflètent sans doute, d'une part, la propagation du raccourcissement dû à la collision des croûtes continentales et, d'autre part, la migration corrélative des charriages issus des domaines internes (notons que cette dernière cause de déformation, classique en Suisse, n'a guère été évoquée en France).
Dans cette manière de voir les choses, la déformation la plus récente des chaînes subalpines septentrionales n'est pas mise sur le compte de la propagation d'une nappe de socle, mais sur celui de l'avancée du front atteint par les nappes de couverture d'origine plus interne. Ce changement de perspective est effectivement cohérent avec le fait que le cisaillement de la couverture croît de bas en haut, en s'éloignant du socle, et du sud-ouest vers le nord-est, en se rapprochant du front d'érosion actuel des nappes internes.

Ce schéma interprétatif a diverses implications :
- La principale est qu'il rend enfin compte de l'antagonisme entre la tectonique "de blocs" du socle, riche en cassures subverticales, et celle, riche en chevauchements, des unités de matériel sédimentaire dauphinois et ultradauphinoise. Il conduit à lier les unités charriées à des contenus d'hémigrabens (et non à la couverture de blocs cristallins).
- La plus "spectaculaire" est qu'il propose un lien causal entre l'écrasement des anciens hémigrabens et la formation des plis couchés connus dans les chaînes subalpines septentrionales et dans le domaine helvétique de Suisse.
- une dernière est qu'il fournit un contexte pour comprendre pourquoi, dans la partie de la couverture soumise au cisaillement sub-horizontal, ce cisaillement s'exprime de façon plus ou moins continue ou discontinue (avec ou sans surface de charriage bien définie) selon les unités considérées, ceci en fonction des caractères des hémigrabens dont elles sont issues.

Enfin ce schéma accorde une importance non négligeable à une déformation intime du socle des massifs cristallins externes, déformation qui a été de longue date généralement sous-estimée, voire niée. Il pose, par contrecoup, le problème de l'ampleur et des modalités de cette déformation, alors que cette question avait été presque totalement occultée par le concept du chevauchement profond.


autres développements touchant à ce sujet, dans ce site :

- sur les rapports entre la tectonique alpine du socle et celle de sa couverture dans les zones externes alpines (voir plus spécialement le schéma )
- sur les rapports entre la tectonique alpine du socle et celle de sa couverture en Beaufortain,, en Oisans et sur le versant occidental de Belledonne.
- sur la surrection des massifs cristallins externes : Belledonne, Écrins - Pelvoux


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