Les massifs
subalpins, et notamment le massif de la Chartreuse, doivent
leur existence en tant que reliefs, indépendamment des
effets de l'érosion, qui les a seulement individualisés,
à deux phénomènes fondamentaux, savoir :
- une déformation "tectonique" de leurs
matériaux constitutifs (en l'occurence leurs strates sédimentaires),
qui consiste fondamentalement en un raccourcissement est-ouest
par plis et chevauchements. Le problème est d'en comprendre
la cause et les modalités.
- une surrection (soulèvement vertical), que l'on
peut qualifier d'orogénique parce que c'est elle, à
proprement parler, qui a mis la chaîne en relief. Ces mouvements,
d'ensemble et/ou par panneaux, posent la question de leurs rapports,
chronologiques et de causalité, avec la déformation.
1 - La surrection
Le soulèvement, depuis leur position
de fond marin plus ou moins profond, des strates des chaînes
subalpines affecte en réalité, au même titre,
les régions voisines qui les encadrent, y compris notamment
le "Sillon
molassique périalpin", car la surface de comblement
de cet ancien sillon marin, bien que restée plane, est
maintenant surhaussée jusqu'à environ 1000 m dans
les collines du Voironnais. Le soulèvement est encore plus
important dans les massifs
cristallins externes, puisqu'il a porté à plus
de 3000 m le socle cristallin de celui de Belledonne, qui y a
été mis à nu par l'érosion, alors
qu'il semble se situer à plus de 5000 m de profondeur sous
la Chartreuse.
Ce soulèvement résulte certainement en partie de
la déformation tectonique de la couverture sédimentaire
et de celle du socle cristallin, puisque cette déformation
traduisait un raccourcissement horizontal, ce qui devait nécessairement
être compensé par un accroissement d'épaisseur
de la tranche déformé (les proportions et les modalités
de détail en sont d'ailleurs susceptibles de préter
à discussions).
Mais ce n'en est certainement pas la cause exclusive. En particulier
ce soulèvement correspond aussi à un surhaussement
global de la chaîne, traduisant un rééquilibrage
de flottaison de la croûte continentale. C'est en effet
la réaction (dite "isostatique") qu'a dû
nécessairement avoir cette dernière, à la
suite de son allègement : celui-ci résulte d'une
part de l'enfouissement de matériaux légers
qui s'était produit antérieurement sous l'effet
des déformations tectoniques des zones internes, et d'autre
part des effets additionnels de l'ablation de matière
due à l'érosion.
Il faut noter qu'un mouvement de surrection se poursuit à l'heure actuelle, à un taux de l'ordre de 1 mm par an, taux dont la valeur décroît progressivement vers les marges de la chaîne et atteint par contre 1,5 mm / an dans ses zones les plus hautes (secteurs dépassant 3000 m). Toutefois on discute pour savoir si ce soulèvement actuel représente une telle réaction, tardive à la formation de la chaîne, ou s'il résulte d'une poursuite de certaines des déformations tectoniques qui l'ont créée.
2 - La déformation tectonique
Il s'avère que ses effets révèlent la combinaison de deux sortes de mouvements, les uns transverses à l'allongement des massifs subalpins et cristallins externes, c'est-à-dire plus ou moins est-ouest, les autres longitudinaux, c'est-à-dire plus ou moins nord-sud.
- Mouvements transverses
L'aspect le plus fondamental de la déformation est un raccourcissement transverse, grossièrement est-ouest, qu'expriment plis et chevauchements (il faut préciser que, si ce raccourcissement est susceptible d'avoir été compensé en faible partie par l'étirement longitudinal de ces massifs, cet aspect reste très accessoire). Le déversement de ces plis et chevauchements, dirigé très prioritairement vers l'ouest, montre que ce raccourcissement était associé à une composante de cisaillement dans le plan horizontal : en d'autres termes la déformation de la tranche de roche plissée comportait également une composante de mouvement relatif, vers l'ouest, de ses parties hautes par rapport à ses parties basses.
À ce niveau de l'analyse deux questions
se posent :
- Ce raccourcissement - cisaillement est-il antérieur
ou postérieur à la surrection des massifs cristallins
externes ?
- Le cisaillement concerne-t-il seulement la couverture
ou implique-t-il également le socle?
Deux conceptions des relations entre plissement et soulèvement - en haut : conception ancienne : le soulèvement
de Belledonne [1] est la cause du plissement. Ce dernier résulte
d'un glissement [2] sur la pente ainsi créée ; |
À la question des rapports avec la
surrection de Belledonne fut donnée, dans les années
40, une réponse tellement séduisante qu'elle est,
encore de nos jours, reprise avec faveur par tous ceux qui en
entendent parler. C'est celle d'une déformation des massifs
subalpins dont le moteur aurait été le glissement
gravitaire de la couverture : la formation du bombement, allongé
NE-SW, de Belledonne aurait entraîné, au faîte
de ce dernier, la déchirure de la couverture (par la traction
de son propre poids) et celle-ci aurait glissé sur les
flancs du chaînon cristallin en se froissant.
Il faut malheureusement renoncer à cette explication, pour
au moins deux raisons majeures :
a) le cisaillement de la couverture se manifeste, toujours orienté
vers l'ouest, sur les deux flancs du chaînon cristallin
(au revers est des massifs cristallins externes il faudrait donc
que le glissement de la couverture lui ait fait remonter la pente
!)
b) les plis et chevauchements, loin de se disposer perpendiculairement
à la ligne de plus grande pente du flanc du chaînon
cristallin, lui sont obliques d'environ 30°, de sorte que
leurs axes s'élèvent progressivement, en biais vers
le sud, jusqu'à franchir la voûte du massif et se
poursuivre, au delà, sur son flanc oriental.
figure agrandissable 1 = formation des plis et chevauchement 2 = surrection de la voûte du cristallin de Belledonne
et formation d'un large synclinal bordier du côté
nord-ouest. l'action des érosions qui ont conduit au relief actuel est représentée dans une autre figure |
En fait toutes les données accumulées ces dernières décennies montrent que la surrection de l'axe anticlinal des massifs cristallins externes, de Belledonne au Mont-Blanc, est un phénomène relativement tardif, en tous cas postérieur au plissement général des chaînes subalpines septentrionales. En outre ces données montrent que l'édification tectonique des massifs subalpins septentrionaux ne s'est pas faite en une fois mais a été le fruit d'une longue séquence d'évènements distincts, dont la structure actuelle est le résultat des effets superposés : plusieurs moteurs de déformation se sont donc succédés...
À la question du comportement tectonique
du socle la réponse implicitement donnée de
longue date était que ce socle, réputé rigide,
avait participé au raccourcissement - cisaillement en se
brisant en lames imbriquées par le jeu de multiples failles
"inverses" (compressives). Cette conception fût
particulièrement bien illustrée par le dessin animé
que réalisa Léon Moret dans les années 50.
Mais, dans les années 60 à 80, les études
de terrain montrèrent qu'il n'y avait en fait pratiquement
pas de structures de ce type à l'interface socle - couverture
(elles n'y sont pas seulement masquées sous la couverture,
comme on avait voulu le croire) et que cette interface dessinait,
au contraire, de vastes coupoles allongées N-S, coupées
de failles d'extension.
C'est sur ces entrefaites que, pendant, dans les années
80, la communauté géologique française adopta
sans autre examen, parmi des concepts relatifs aux charriages
qui nous parvenaient du nouveau monde, celui selon lesquels toutes
les déformations de la couverture, plis et chevauchements,
étaient l'écho de charriages plus profonds et, en
dernier ressort, de grandes failles plates émergeant de
niveaux plus profonds du socle. Il devint donc évident,
pour beaucoup, au mépris des
faits contraires et malgré l'absence de toute preuve,
que, comme l'imposait ce schéma, les massifs cristallins
externes ne pouvaient être que charriés avec leur
couverture.
En réalité l'étude tectonique
des confins
du socle cristallin et de sa couverture montre que cette dernière
s'est déplacée par rapport aux coupoles de socle
sous-jacentes en subissant un étirement de plus en plus
cisaillant aux approches du socle. Ce dernier s'est par contre
raccourci plus modérément, sa déformation
se faisant par le basculement vers l'ouest de la surface des blocs
découpés par l'extension jurassique, par un écrasement
diffus du cristallin de ceux-ci (écrasement souvent dispersé
sur des cassures mineures à très fort pendage),
ainsi que par des coulissements longitudinaux entre ces blocs.
Il n'y a donc aucune solidarité socle - couverture, et
la tectonique de déplacement vers l'ouest, tangentiellement
à la surface terrestre, ne concerne véritablement
que la couverture, qui s'est, dans ce mouvement, avancée
vers l'ouest plus que le socle. Ce déplacement de la couverture
lui a donc été imposé par le haut (et non
par le bas), de sorte que l'on est tenté d'y voir un écho
de l'effet d'entraînement* qu'a certainement exercé,
plus à l'est, l'avancée des nappes internes sur
leur autochtone.
Il faut ajouter enfin que, à ce mouvement relatif originel "proverse", s'est surajouté un mouvement tardif inverse, le socle tendant à s'enfoncer alors vers le sud-ouest sous sa couverture. Ces déformations rétroverses (à plis et chevauchement déversés vers l'est) sont spécialement illustrées dans les chaînons qui enveloppent l'extrémité méridionale de la chaîne de Belledonne, à la marge est de la Chartreuse, dans le Vercors au sud de Grenoble (environs de Gresse) et dans la Matheysine. Leur localisation porte à penser qu'il s'agit des effets d'un déplacement en "sous-charriage" du socle de Belledonne vis-à-vis des massifs subalpins sous lesquels la voute du cristallin s'ennoie du côté méridional, c'est-à-dire d'un déplacement de ce massif vers le sud-ouest.
- Mouvements longitudinaux
Les mouvements coulissants, plus ou moins longitudinaux
à la chaîne, s'expriment surtout par des décrochements
(dont l'importance est tout-à-fait remarquable en Chartreuse).
Ils traduisent un allongement grossièrement N-S, longitudinal
par rapport aux massifs subalpins septentrionaux. Globalement
il faut sans doute y voir un effet d'étirement, induit
par l'incurvation de la chaîne alpine en un arc saillant
vers le sud-ouest : c'est ce que suggère le fait que ces
accidents sont de plus en plus importants que l'on approche du
point d'inflexion maximale de l'arc alpin, qui se situe peu à
l'est de Grenoble.
Le fait que ces décrochements viennent se terminer en bordure
du sillon subalpin, sans pénétrer dans le socle
de Belledonne (alors que ces cassures s'amortissent d'est en ouest),
suggère qu'il s'agit d'accidents de second ordre induits
par un mouvement cisaillant horizontal d'ordre supérieur
: il est séduisant de penser que ce dernier correspond
au coulissement vers le sud-ouest de la chaîne de Belledonne
qu'indiquent les déformations rétroverses de son
enveloppe immédiate.
Cette interprétation est renforcée
par l'évidence d'un pivotement
dextre des axes de plis aux confins de la Chartreuse et du
Vercors avec le Jura. En effet les plis de l'extrémité
sud du massif du Jura, déjà apparus à l'Oligocène
avec ceux de la Chartreuse W, ont été bousculés
vers le SW, à la fin du Miocène, par l'avancée
du chevauchement de la Chartreuse orientale. Cette déformation
a en grande partie été permise par la formation
de la faille de Voreppe, dont le rejet chevauchant s'accroît
du nord vers le sud.
Cette torsion des plis du Jura de la Chartreuse W a en outre conduit
le mouvement le long du chevauchement de la Chartreuse orientale
à acquérir une composante de coulissement vers le
S, qui absorbe en partie le jeu dextre des décrochements
qui affectent la Chartreuse orientale.
Schéma cartographique montrant les déformations qui sont intervenues, du fait de l'avancée du chevauchement de la Chartreuse orientale, dans les chaînons plus occidentaux du massif et dans ceux de l'extrémité méridionale du Jura. Au sujet de ces derniers voir aussi la page
|
Cela vient de ce que ces plis
par coulissement dextre vers le sud, bloqués
par le haut et du côté ouest par la chape de molasses
miocènes du sillon périalpin.
Il n'est pas exclu que ce soit ce même mouvement qui se
manifeste encore à l'heure actuelle par l'activité
de la "faille de Belledonne" des sismologues (dont les
mécanismes au foyer sont également dextres).
En résumé l'architecture géologique des chaînes subalpines septentrionales résulte de toute une série de déformations tectoniques dont la principale notamment (qui est responsable des traits les plus marquants de leur structure plissée) est antérieure à la surrection des massifs cristallins externes. Par contre leur surrection est certainement l'effet de la déformation du socle, en un bombement allongé NE-SW, qui est à l'origine de la mise en relief des massifs cristallins externes et à laquelle se sont ajoutés les réajustements d'altitude qui ont concerné toute la chaîne alpine, à l'aube du quaternaire, dès que l'activité tectonique s'y est calmée.